Du rêve au cauchemar…
Bien sûr que les altermondialistes ont raison de dénoncer la mondialisation de léconomie comme la cause de laggravation des conditions de vie des 3 milliards 6oo millions dêtre humains vivant avec moins dun dollar par jour, bien sûr que les écologistes sont parfaitement en droit de craindre le pire dans les 50 prochaines années dun accident climatique à force de pollution et de réchauffement subséquent de la planète, bien sûr que le club de Lisbonne et Ricardo Petrella ont raison de dénoncer un tsunami par semaine avec la mort de 250.000 personnes par manque deau, de soin et de nourriture, bien sûr, bien sûr…
Si les conditions actuelles sont dures pour la plupart des gens, y compris les couches défavorisées des populations occidentales, il ne faut pas sen prendre aux effets, cest-à-dire au système capitaliste qui pousse à légoïsme forcené pour surnager et surclasser les autres, il faut sen prendre aux causes, cest-à-dire à la nature fondamentalement perverse de lhomme, à la manière quil a toujours eue de vivre dans des hiérarchies de pouvoir établies depuis la nuit des temps, à son effroi anticipatif dêtre un jour démuni et à son instinct daccaparement des êtres et des biens.
Voilà les racines du mal. Voilà ce quil faut modifier.
Cest à ce titre que le capitalisme si bien en adéquation avec lhomme a des chances dêtre encore longtemps le seul système possible.
Des hommes se sont élevés contre les horreurs de leurs temps, les crimes odieux, les massacres perpétrés de sang-froid. Quon les appelle dieu, prophète ou philosophe, ils ont permis à « lhonnête homme » de ne pas se sentir seul au milieu des chacals. Ils nous ont permis, à nous qui sommes les témoins passifs dhorreurs, à nous sentir moins sales et à nous dire que tout nest pas irrémédiablement perdu.
Quant à vouloir nous faire croire quà force denfoncer le clou, tout pourrait un jour basculer par la seule arithmétique du bien victorieux du mal, cest reproduire un angélisme qui concourt au découragement et au scepticisme collectif.
Comment osons-nous avoir la prétention de changer le monde, quand nous sommes incapables de changer les relations entre « voisins » ?
Ce petit fait-divers ramène à la réalité.
« Des habitants de Bourg-en-Bresse manifestent contre des SDF ».
En un mot trois cents personnes, habituées de la place des Bons-Enfants, ont manifesté leur ras-le-bol depuis que des marginaux, une trentaine environ, tous plus ou moins sans abri, se regroupent au centre ville. Le maire interpellé par les manifestants a reconnu ne pas pouvoir apporter de solutions miracles ».
Les détails des reproches sont bien connus. Ils sont les mêmes partout.
« Zonards inéducables, malpolis, profiteurs, voleurs. Ce ne sont pas des gens comme nous. Il faut les empêcher de nuire, etc. » Langage classique des « Assis » de Rimbaud.
Une analyse en profondeur de la société de consommation, pourvoyeuse des « déchets sociaux », même si elle nest pas responsable de toutes les dérives, nest faite par aucun des « scandalisés » quils soient de Bourg-en-Bresse ou dailleurs.
Ce quon leur reproche à ces pauvres, cest dêtre visibles. Combien leur saurait-on gré de se terrer dans un trou et dy attendre la mort. « Une mort digne » glapiraient les gazettes et les bourgeois.
Peut-on imaginer que lincroyable succession de drames sociaux dont notre société abonde va trouver un début de solution dans un cadre général et européen ?
Lactuelle proposition de Constitution européenne fait entrer lEurope, cest-à-dire nous, dans un processus irréversible de privatisation de lensemble des activités encore gérées collectivement : la poste, les chemins de fer, les pensions et les assurances sociales, sans que la gauche sen inquiète beaucoup. Nous nous écartons davantage par cela de toute possibilité de partage avec les 3 milliards et quelques de personnes à moins dun euro par jour de « revenu » !
Cest exprimer la volonté dentrer dans légoïsme le plus radical qui soit.
Au reste, on va le savoir de suite, les récessions qui sannoncent, les effondrements qui se profilent : le monde occidental a bien lintention de les récupérer sur le dollar par jour des pauvres, sous prétexte que parmi eux, il y en a des millions qui vivent avec 50 cents !
Alors, rêvons à un monde meilleur, certes, mais pas trop, de peur que ce rêve ne tourne au cauchemar.