Les copains dalors…
Cest dit : jai plus un seul ami !
Ça devait arriver.
On choisit ses amis. Jai fait de mauvais choix.
Certains étaient trop vieux. Ils sont passés à la trappe naturellement. Que nai-je entendu des autres plus jeunes ! « Va voir Edouard Joblin à Bruxelles. Tu sais quil est devenu fragile, cassant, une vieille poupée en porcelaine. Vas recueillir ses dernières paroles. Le mot de sa fin. Cest un devoir…».
Jy suis pas allé. Si ses dernières paroles sont du même tonneau que celles que jai entendues il y a 20 ans, lEdouard Joblin version 2005, cest le doublon de celui de 1980. Un cas, Joblin ! Il a attendu la trentaine pour se lâcher. Ça a débuté par des bouffées anxieuses, la peur de tout, puis dun flot de lieux commun, genre « La Belgique joyeuse : trois mariages et pas un seul enterrement depuis Baudouin », une confusion grandissante… une crampe de lécrivain à la « baisse un peu labat-jour / les côtelettes brûlent au four »… alors que je lavais connu moins con, par moment lucide… Lui, cétait 30 ans, lâge limite. Il serait mort à 29 ans, on en aurait rien su !... Joblin a pris le virage sans rien dire, en traître. Au début, à peine quelques réflexions « classe moyenne », inspiration Roger Mené garantie… fallait être perspicace pour deviner le trou du cul dans le lisse de la rondelle. Les amis sont indulgents. Nous nous sommes dits « Joblin traverse une mauvaise passe. LEspagnole veut plus sucer… la viré sec. Il a vécu en chambre de bonne, sans la bonne… Maintenant quil a gagné au poids (sa compagne est exactement au double de lautre en hauteur et largeur) il va avoir les mains prises et comme en général le cerveau va avec…
Mais non. On avait mal vu. Sa profession de foi était bien celle du charbonnier : la connerie foudroyante, irrémédiable. « Tas tort de pas être daccord avec les socialistes, tu verras, ils feront ton bonheur » quil me disait encore au téléphone, il y a 15 jours. Cest le même qui me tançait après que ma compagne se fût tirée avec un syracusain converti gondolier de la Sérénissime : « Tu vois, ce qui tarrive devait tarriver. Devine qui sest déplacé, pour venir expliquer sa rupture, ma gueule ?... Lulu en personne et avec son marin lagunaire. Cest pas toi quaurais eu la délicatesse ! »
De ce sommet explicatif, il en est résulté quEdouard Joblin ma battu froid quelques temps. Juste assez pour sapercevoir quavec son illettré du Mezzogiorno, elle le traitait de vieux chnoque.
Un autre sur ma liste des défections ?
Je veux… un de mes amis denfance, quon était tout, un pour lautre... même quon sen branlait des sévères rien que par amitié… On sétait perdus de vue. Des années plus tard, par hasard, un rapprochement par les femmes ; « Tu sais qui est le mari de Ginette Lakilou ? » « Non ! » « Antonin Lecramé ! » « Mon ami denfance ! » « Oui ! » « Quest-il devenu ? » « Il fait du théâtre et il est maoïste. » « Non ! » « Cest comme je te le dis ».
Et cétait reparti définitivement pensait-on.
Voire. Il y a de tout dans lextrême. Lui, cétait un maoïste qui avait viré jaloux exclusivement de son supérieur hiérarchique dans une Administration où on lavait finalement affecté au théâtre pour cas difficiles. Que son chef eût été maoïste, Antonin passait au MR ! Il sen était sorti fort déprimé avec quelques hématomes, le castelet lui étant tombé sur la tête.
Sur le tard, sa situation de gauchiste lui pesait tellement quil pensait que ses convictions lui avaient brisé une ouverture vers le destin parlementaire auquel il avait droit… Ah ! sil sétait inscrit au PS, « avec la bande de cons aux commandes qui usurpaient la place qui aurait été la mienne !... » Traumatisé, il sétait fait une raison en se vengeant de lAdministration qui lavait nourri et qui finit par le retraiter quasiment à lâge où Lance Armstrong est en passe de gagner son 7me Tour de France.
Antonin et moi, c‘était plus ça. Lintérêt ça se voit. Jen avais toujours. Je mintéressais à sa santé défaillante, prenais de ses nouvelles. Sans le savoir, je lemmerdais. Ginette Lakilou colmatait les fissures. Elle était copine avec Brune Debaise, ma compagne dalors… les soeurs Mata Hari, pour tout autant que Geertruida en ait eu une. Cest cette amitié-là qui faisait tenir la nôtre, Antonin et moi. Au moindre refroidissement entre Ginette et Brune, on savait que ce serait loccasion de se tourner le dos. On interrogeait nos charmantes sur loreiller, dans lespoir quune balance des horreurs sur lautre. On se serait dépêchés duser du prétexte pour ne plus se voir.
Cest juste quand jappris de Brune que Ginette trompait Antonin que celui-ci me dit « Tu sais, mon Jean Titouplin, Ginette ma confié que tu étais cocu ! ». Mois, je lui aurais pas dit, surtout avec la joie mauvaise quil avait.
Comme on sait Ginette Lakilou était collectionneuse et Brune Debaise, peintre hard en décors du X, elle navait pas son pareil pour dessiner des bites… Les deux femmes ne pouvaient sentendre que sur des histoires de fesses, quelles se racontaient en se foutant de nos gueules, lAntonin et moi. Nous étions très pudiques sur nos affaires galantes. Nos deux luronnes prenaient plus de plaisir à raconter quà faire. Nous nous reprochâmes notre réserve, avec mon camarade.
Ce qui mit un point final à lamitié indestructible, ce fut une querelle entre Ginette et Brune, à propos des mensurations dun espion de lIntourist reconverti « baiseur en car longue distance ». Nous nous séparâmes avec soulagement.
Mon troisième ami qui nest plus fréquentable, Cello Ploume, ce sera pour une autre fois ou une autre vie....
Juste un mot…Dun drôle, Cello !... Juste un trait… pour ramener de la clientèle et faire du chiffre, cet étalagiste indépendant, spécialisé dans le textile, comme sa clientèle était faite essentiellement de petits commerçants juifs, sétait rebaptisé Blümenfeld. Influence du nom ? Désir de ressembler à la collectivité où il gagnait sa vie ? Cello, comme tous les apostats, ne sétait pas contenté dapprendre lhébreu, il sétait découvert intégriste… pour nous cétait pas gênant, le connaissant, cétait pure rigolade… Pourquoi on sest séparé ? Peut-être un jour, je vous conterai laffaire, si un ami lecteur demande…