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Le temps des égarements

Il est des pensées clandestines que le Pouvoir se garde de citer. Ainsi celle de Blaise Pascal, si pénétrante que l’on se demande à l’aube de chaque Révolution, pourquoi les nouveaux maîtres ne méditent pas sur elle.
« Il ne faut pas que le peuple sente la vérité de l’usurpation : elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable ; il faut la faire regarder comme authentique, et en cacher le commencement si on ne veut pas qu’elle prenne bientôt fin. »
L’horreur de ce nouveau siècle est tout entière dans l’usurpation d’un Régime qui se veut démocratique et qui n’en est qu’une caricature..
Les usurpateurs ont hérité de la foi inébranlable de leurs prédécesseurs qui en avaient une mauvaise.
Nous sommes les victimes d’un leurre magistral.
Le monde nous échappe et nous effrayerait si des constats artificiels ne nous laissaient croire que nous sommes toujours dans l’ancien.
Cependant des millions de destins basculent dans la tourmente victimes de cet anachronisme prémédité.
Pas plus tard que la semaine écoulée, des dizaines d’interventions dans les médias à la suite des propositions du gouvernement concernaient les prépensions, les pensions et l’emploi des jeunes. Toutes traitaient d’une notion complètement manipulée : celle du travail devenue l’emploi. Cette transformation est le fruit d’une métamorphose linguistique dont nous sommes les uniques victimes.
Jadis, qu’entendait-on par travail, même si originellement cela découlait d’un dur labeur, mal payé souvent et fort peu considéré ?
C’était surtout de l’artisanat créatif, sans règles précises, avec un préliminaire, un apprentissage dont le plus bel exemple fut l’odyssée des Compagnons du Tour de France qui était une sorte de confrérie de qualification avec comme but final la création d’un chef-d’œuvre, l’ébéniste une armoire, le menuisier, un escalier, le pâtissier une nouveauté gastronomique, etc.
Le travail était choisi. Son parcours était émaillé de recherches. Une originalité présidait à chaque entreprise humaine. Chaque profession avait ses degrés de qualification, ses triomphateurs et ses laissés pour compte avec des drames d’incompréhension et d’erreurs vocatives. Cela n’empêchait pas la misère et l’enrichissement. Mais, professionnellement parlant, mourait idiot qui le voulait bien. Il y avait aussi des métiers qui tiraient ses acteurs vers plus de justice sociale : les métiers du Livre souvent, relieurs, typographes, pressiers ouvriers-intellectuels à la casse et à l’écriture, comme Restif de la Bretonne.
Passéiste ce discours ?
Si l’on veut.
A partir du XIXme siècle, le travail s’est peu à peu transformé. Une machine de guerre productiviste s’est emparée des industriels pour aboutir à ce qu’on appelle aujourd’hui un emploi.
L’escroquerie, est dans la signification du mot travail qui n’a plus le même sens depuis environ cent ans.
Le travailleur est devenu le complément coûteux et transitoire de la machine. L’appendice superfétatoire qu’il est devenu, plus aucun patron ne désire le conserver que le temps nécessaire à une délocalisation ou a un « progrès » technique. C’est-à-dire réfléchir à une procédure d’annulation de cet appendice.
On peut dire que le travail en 2005, dont ce gouvernement met tant d’acharnement à nous vanter les bienfaits, n’est plus que la réduction à un esclavage involontaire de toute la population demandeuse d’emploi.
La politique autour de l’emploi est illusoire et peu crédible face à la réalité du temps qui préside au désastre des vies. Ce gouvernement s’obstine à ne pas voir que chaque destin d’homme est important.

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Ce qui transparaît, c’est l’incapacité de la gauche à dénoncer les contradictions décrites ici. Hier, ces questions essentielles pouvaient se poser. Avec l’orientation centriste et collaborationniste de la gauche actuelle, c’est devenu impossible.
Et pourtant, le « progrès » surestimé ne peut nous masquer la terrible réalité : la pauvreté s’accroît et le nombre d’exclus augmentent. N’est-ce pas suffisant sur ce seul critère pour en terminer avec un système qui bousille tant de vies et en déçoit tant d’autres ?
Un monde disparaît. Nous nous en réclamons encore comme s’il était le nôtre. Nous en avons conservé tous les réflexes et toutes les inclinaisons, que nous en ayons profités ou pâtis.
Alors que nous ne savons pas décrypter le sens d’un nouveau monde hostile à l’humain, l’affairement de se gouvernement à colmater les brèches, à nous rendre « aptes » à l’emploi, a quelque chose de pathétique.
Il nous fait croire qu’il maîtrise la situation, en bricolant des ersatz autour de ce qui n’est plus, sur le temps que son inaptitude est manifeste et que lui-même court après un ordre nouveau où il a beaucoup de chance d’être remercié des industriels, comme nous l’avons été au profit des machines.
L’hypocrisie éclate. Les gens ne veulent plus d’elle. Le gouvernement n’a que cela à nous offrir ! De bien pauvres types à la tête d’un Etat croupion… c’est lamentable.

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