André Comte-Sponville à Liège.
Avec la venue à Liège, jeudi 24 novembre dAndré Comte-Sponville, cest toute une intelligentsia locale qui se demande sil y a encore besoin dune religion en 2005 ?
Le philosophe Comte-Sponville se pose aussi la même question depuis quil a renoncé de croire, il y a plus de 30 ans.
"Si je ne crois pas en Dieu, cest aussi, et peut-être surtout, parce que je préférerais quil existe. Cest le pari de Pascal, si lon veut, mais inversé. Il ne sagit pas de penser le plus avantageux - la pensée nest ni un commerce ni une loterie-, mais le plus vraisemblable. Or Dieu est dautant moins vraisemblable quil est davantage désirable : il correspond tellement bien à nos désirs les plus forts quil y a lieu de se demander si nous ne lavons pas inventé pour cela. (...) La foi nous arrange trop pour nêtre pas suspecte."
On est frappé de voir combien avec dautres écrivains même agnostiques (tels que Camus, Gide, Valéry ou Malraux) Comte-Sponville recourt constamment à un langage emprunté à la Bible, à ses mythes, à ses symboles et à son vocabulaire pour exprimer le sens quil a de laventure humaine et du mystère de la vie. Les titres de ses ouvrages en témoignent. Même si ce philosophe na pas besoin dune religion, il a néanmoins besoin quil y ait des religions. Cest du point de vue strictement littéraire, son fonds de commerce.
"Au sens philosophique, le matérialisme est dabord une ontologie - une théorie de lêtre - ou une conception du monde. Cest la doctrine qui affirme quil ny a dêtre(s) que matériel(s) : le matérialisme est un monisme physique. A ce titre, il se définit surtout par ce quil exclut : être matérialiste, cest penser quil nexiste ni monde intelligible, ni dieu transcendant, ni âme immatérielle. Ce nest pas pour autant renoncer aux valeurs ou aux biens spirituels. (…) Etre matérialiste, pour les modernes, cest dabord reconnaître que cest le cerveau qui pense, et en tirer toutes les conséquences." écrit-il, en feignant doublier que son monisme, tout physique soit-il, est aussi dune certaine manière ramener tout à un principe unique, cest-à-dire paradoxalement… à Dieu !
Ainsi le langage des religions est indispensable pour André Comte-Sponville, quoi quil en dise. Le langage quoffrent les religions au philosophe est plus riche que celui de la psychologie et de la philosophie, doù lattrait quil exerce sur lui et par ricochet sur ses adeptes qui viennent parfois des milieux religieux.
Cette restriction posée en évidence, André Comte-Sponville nest pas sans mérite. Dans une langue riche il nous aide à comprendre « ce que lon ne comprend pas » : "Une religion, quest-ce dautre quune doctrine qui explique quelque chose que lon ne comprend pas (lexistence de lunivers, de la vie, de la pensée...) par quelque chose que lon comprend encore moins (Dieu) ?"
Il dément que nous ayons besoin dune religion, aux seuls titres que nous avons à tout âge le désir de nous sentir aimés, compris, protégés, « maternés ». Il classe dans les petitesses des hommes, ces faiblesses qui nous mettent faussement sous une protection dont nous ne savons rien à commencer par ignorer si elle sera efficace pour nous épargner les souffrances de la condition humaine.
Je préfère, pour ma part, penser la foi à la manière de Jankélévitch : « Dieu enfin serait pour lêtre en danger de mort une possibilité de rallonge ou de prolongation infinie par delà le naufrage ». Dans son ouvrage philosophique « La Mort » cet auteur écrit des choses essentielles (page 436) autrement plus lourdes de sens que les philosophes mondains daujourdhui.
Evidemment, lironie vient facilement à nos lèvres dathées lorsque les rassemblements charismatiques et autres JMJ volent à notre secours en exhibant le côté « fraternité émotive » de la foi. Le besoin de religion nest plus celui dun dogmatisme uniforme de soumission, mais le prétexte à une fête.
Il nest alors besoin que de morale.
Sans le savoir, Jean-Paul II le grand organisateur des « parades de léglise » a fait plus pour la laïcité et la progression de la raison que les meilleurs philosophes athées. Car, en rendant accessible et en vulgarisant le mystère, il a fait de la foi une attraction foraine dont lévidente humanité exclut tout caractère divin.
"Avez-vous besoin de croire en Dieu pour penser que la sincérité vaut mieux que le mensonge, que la générosité vaut mieux que légoïsme, que le courage vaut mieux que la lâcheté, que la douceur et la compassion valent mieux que la violence et la cruauté, que lamour vaut mieux que la haine?" (André Comte-Sponville)
Je suis bien de cet avis.