La presse se meurt. Vive la presse.
La presse écrite n’en finit pas de mourir…
Hier, c’étaient les dégraissages à répétition des salles de rédaction et des personnels d’atelier. Aujourd’hui, c’est l’AMP (Agence et Messagerie de presse) qui va mal et - comme les journaux - se met à pondre des plans de restructuration, sans aucun préavis dit-on, voire… Plan, plan et rataplan disent les personnels qui en ont assez de faire les frais des gabegies et des mauvaises gestions, un peu comme dans les journaux.
Si cette presse, avec ses distributeurs, s’en va, c’est un grand pan de la liberté d’informer et de commenter qui disparaîtra, laissant à l’aile marchande du système le soin de tout régler en lieu et place des citoyens.
L’information électronique ne peut pas remplacer la presse écrite. Elle peut juste donner des points de vue inédits, mais le plus souvent, malgré les billets d’humeur accélérateurs de jugement (ce dont j’use et abuse parfois), elle manque de belles plumes et de moyens pour investiguer et fournir aux lecteurs des avis compétents, des opinions contradictoires, le tout dans des textes soignés.
Les professionnels de la presse écrite n’ont jamais été aussi nécessaires et leur nombre décroissant devrait inquiéter le pouvoir lui-même, qui semble s’accommoder d’un pays où les gens ne liraient plus.
C’est le fatal engrenage. Le lecteur se faisant rare, on cherche à le conserver par un moyen terme, c’est-à-dire une information molle et sans couleur, dans la crainte d’effaroucher ceux qu’un ton incisif et une position originale, effaroucheraient.
Sans accuser les personnels de rédaction qui font ce que des directions leur disent, le ton polémique n’existe plus qu’en de rares occasions.
L’information générale s’est diversifiée et a d’autres vecteurs que le papier. Raison de plus pour ne pas sombrer dans le conformisme, tout en essayant d’éviter le sensationnel à tout prix. Dans un petit pays où tout semble feutré et préparé à l’avance pour le confort des dirigeants et des citoyens dociles, secouer le cocotier pourrait réveiller les critiques et les consciences.
Hélas ! le cœur n’y est pas et les rédacteurs en chef manquent de courage.
C’est inutile de tirer sur l’ambulance. Ce serait même cruel, alors que le but n’est pas de tuer ce qui reste, mais de le faire revivre, malgré le déficit de lecteurs.
Je fais parfois d’amères expériences. Lorsqu’il m’arrive de réagir à des situations intérieures ou internationales, je constate avec amertume que la grande presse met son cache-col et craint de s’enrhumer. La timidité d’arguments, dans l’uniformité et l’innocuité des propos, saute aux yeux. C’est accablant de tristesse.
Croire qu’une presse asexuée, démunie, sans idéal et sans grande plume va pouvoir tenir le coup avec les nouvelles tiges, c’est penser qu’en sortant de l’ULB avec un diplôme de journaliste, on le soit réellement.
Par le passé, la presse parfois brouillonne, foisonnante, étonnait ou énervait, mais ne laissait personne indifférent. Quels étaient les journalistes d’alors ? Des gens venus de partout, avec des expériences diverses qui savaient à tout le moins écrire, donner un avis original et le défendre. Aujourd’hui, on demande surtout aux pales successeurs, un brevet de marketing et une obéissance aveugle aux ordres « d’en haut ».
Résultat, aucun de ces petits jeunes gens n’arrivent à sortir un texte bien ficelé. Est-il besoin d’user ses fonds de culotte à l’Université pour apprendre à écrire, alors qu’écrire est un don qu’on n’apprend pas ?
Les patrons de presse à l’ancienne aimaient le métier. Il leur arrivait souvent de dégotter un apprenti d’usine, un employé d’assurance que l’aventure d’un journal tentait. Ils leur donnaient une chance.
C’est ainsi que s’affirmèrent des talents comme ceux de Simenon, Londres, Rougemont, Léautaud (les chroniques de Boissard pour le théâtre), et, rayon polémique, Gohier, Rochefort, Bloy, etc.
Mais la presse n’est plus rien.
Elle est aux mains de savetiers de la finance, tous plus ou moins incultes, à la pogne d’entrepreneurs marrons, d’individus douteux, d’industriels mégalomanes, d’héritiers de presse avachis ou embrigadés dans des spéculations machiavéliques.
Pourtant, les talents nouveaux sont facilement repérables, ils s’essaient sur Internet, ils s’appliquent à des jeux d’esprit électroniques, ils montrent leur savoir-faire dans des domaines proches de l’information, sans autre ambition que d’écrire ce qu’ils pensent en toute liberté. Et souvent, ce qu’ils font, si l’on élimine les élucubrations d’adolescents et les vaticinations universitaires malhabiles, sont des réflexions sur l’actualité et les mœurs politiques bien supérieures souvent à ce qui se fait dans la presse papier.
C’est la fin.
C’est dommage. Le conflit de l’AMP, c’est la cerise sur le gâteau. Il leur fallait bien ça aux malheureux qui impriment encore dans de mauvaises conditions.
Tout le monde s’y met pour le requiem.
D’accord. Mais alors qu’on fasse vite. Que les derniers étudiants de la profession bifurquent vers les métiers de la Justice. Les avocats sont fort demandés dans les partis politiques.
On y recrute encore…
Et enfin qu’on cesse d’agiter les millions d’euros à risquer dans l’aventure. Ce métier ne se relèvera qu’avec le talent et le cœur, la rage d’écrire et l’amour de la liberté.
Heureusement que ce sont des valeurs éternelles.
La presse se meurt. Vive la presse.