Un homme de beaucoup de biens.
-Je suis atteint de la boulimie d’avoir(s).
-Depuis quand ?
-Depuis toujours. Quand j’étais petit je gardais mes fèces.
-Tu étais constipé, quoi ?
-Je suis un enfant FUCA.
-Avec FUCA, vous y seriez déjà disait maman…
-Sauf que moi, je n’y étais jamais. Plus tard, j’ai fais les sciences économiques, le marketing, tout quoi.
-Oui. Tu es devenu un financier. Pourquoi cette soif inextinguible d’accumuler ?
-Surtout que j’ai déjà pas mal accumulé.
-Alors ?
-Quand je ne gagne pas d’argent, j’angoisse. Je me dis que si je n’en gagne pas, j’en perds…
-Pourquoi ?
-Cela me rassure. J’ai l’impression qu’ainsi je vais vivre plus vieux…
-C’est aujourd’hui que tu me fais des confidences pareilles !
-Je me suis trompé sur moi-même. Penser que les sommes que l’Etat me prélève pourraient être dilapidées, mieux… être données aux autres, m’est insupportable.
-Tu es pour une minorité de riches dans une majorité de pauvres.
-C’est la seule façon de bien vivre notre richesse. La mondialisation nous y conduit. Mais je ne verrai pas le but final : un seul riche et sept milliards de domestiques.
-A condition que ce soit toi le riche !
-Je te dis que je ne vivrai pas jusqu’à ce triomphe du capitalisme. Je le regrette.
-Que fais-tu de ta vie en espérant l’apothéose ?
-Je fuis ma condition d’humain. J’éloigne le spectre de ma mort en me trouvant un exutoire…
-Bref, tu as une passion…
-Oui, de l‘argent.
-Tu n’es pas le seul. Tu es un angoissé qui se détend en prenant le pognon des autres.
-J’ai quand même une fonction sociale. Je l’assume pourvu qu’elle ne me coûte rien.
-Toi, une fonction sociale ?
-L’argent est un symbole. Il canalise la violence dans la société, entre les rails de sécurité, sur un chemin à peu près supportable. L’argent c’est le super Loto, la cagnotte après laquelle tout le monde court, quand il n’y en aura qu’un seul en fin de course pour empocher le magot.
-Tu échanges les intégrismes, en quelque sorte ?
-C’est évident. L’intégrisme le moins violent en apparence, c’est l’argent. Les gens se contentent des apparences, parce que, s’ils allaient au fond des choses, ils verraient qu’ils ont opté pour le plus meurtrier.
-La monnaie substitut aux rites sacrificiels ?
-La plus belle image c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, c’est le dernier vestige de l’anthropophagie.
-Tu thésaurises, tu es donc un criminel, le sachant ?
-Oui. Je n’ai pas d’excuse, si ce n’est une de taille.
-Laquelle ?
-J’aime les honneurs. C’est gratuit. Je ne paie rien, au contraire. Je suis honoré, je donne des conférences, on me paie même pour assister à des banquets. Le roi va me faire baron. Le gouvernement me consulte. Si je leur disais ce que je pense, crois-tu que ces imbéciles m’honoreraient encore ?
-Tu es un hypocrite.
-Et eux, ne le sont-ils pas plus que moi en me flattant ? La dollarisation complète de la société est proche. Les banques dont je suis propriétaire étranglent le crédit intérieur, la fragilité est sur les épaules des finances publiques. L’Europe accélère le processus en débridant les marchés qui explosent et réduisent les gens à subir les concurrences qui les poussent à la misère. Encore un petit effort et les gens courront nus dans les rues. Je ne te dis pas combien je paierai mes domestiques. Le grand moment est venu où nous, les riches, seront adulés comme des dieux, montrés en exemple.
- Qu’est-ce que tu as ? Léopold, tu m’entends ? Docteur, faites quelque chose…
Le docteur – Ne vous alarmez pas. C’est la crise habituelle après les cours de la Bourse. Nous avons intérêt à ce qu’il ne nous claque pas entre les doigts. Nous lui avons déjà évité de se surmener à ses Conseils d’Administration en plaçant une Thaï qui le suce sous la table. Il fait du golf électronique pour se dégourdir les deux doigts utiles pour ses signatures. Nous contrôlons sa tension. Il est en dialyse régulièrement. Nous l’avons opéré de son troisième cancer. Il a l’œil droit d’un Mexicain qui s’est retrouvé borgne le lendemain d’une beuverie. Le foie d’un condamné à mort en Chine. Un comédien qui a exactement sa voix enregistre ses commentaires financiers écrit par le staff des secrétaires. C’est un sosie qui boit le champagne avec les délégations étrangères et va à la télévision. Et quand il a été nommé grande croix de l’Ordre de malte et prince de l’église, celui qui le soutenait en lui administrant tous les quarts d’heure une piqûre dans les fesses étaient un haut dignitaire d’une Loge franc-maçonnique. Quand il sera fait baron, il a choisi pour devise «Pour sa santé, le pauvre doit toujours quitter la table avec un peu d’appétit ». Comme son nom fait entrer de l’argent dans les œuvres caritatives, il le monnaie pour que les bénévoles l’inscrivent comme membre d’honneur. S’il a voulu vous rencontrer, vous son frère, c’est parce qu’il s’est souvenu que vous habitiez dans une petite maison avec votre mère qui vient de mourir. Elle était la propriétaire et il va sûrement vous en parler pour négocier sa part. Surtout soyez ferme sur les frais d’enterrement. N’entrez pas dans l’évaluation de la qualité du bois du cercueil par rapport à la facture. N’avancez rien que vous ne puissiez prouver. Négociez à 50 – 50…