Tout n’est que poussière !
-Tu as touché à mes affaires !
-Je t’assure que non. J’ai seulement pris les poussières…
-Eh bien voilà ! Quand tu prends les poussières tu déplaces les objets.
-Comment faire autrement ?
-En ne prenant pas les poussières !
-Jamais ?
-Jamais !
-Je ne peux pas vivre dans la crasse.
-La poussière, ce n’est pas de la crasse.
-Qu’est-ce que c’est ?
-De la poussière, tiens…
-Je continuerai de prendre les poussières, si ça me plaît.
-D’abord, où as-tu mis mon masque Dan ?
-Ton quoi ?
-Le masque africain qui était sur mon bureau.
-Cette horrible chose avec des plumes tellement sales qu’on aurait dit un nid de pigeons ?
-Oui.
-Il doit encore être dans la corbeille à papier.
-Comment ! Tu jettes mes affaires, à présent ?
-Impossible de prendre les poussières sur des plumes. J’avais pensé revendre cette horreur. Personne n’en veut. Même aux Puces Saint-Gilles !
-C’est inouï un sans-gêne pareil !... Tu veux ma peau ? Hein… dis-le, tu la veux ?
-Beaucoup de choses vont changer dans cette maison.
-Pourquoi ?
-Parce qu’on voit bien que ce n’est pas toi qui y travaille.
-Qu’est-ce que je fais, en ce moment ? Plus précisément qu’est-ce que j’essaie d’y faire ?
-Rien. Tu ne fais rien que tapoter sur l’ordinateur, le cul dans le fauteuil de PDG que tu t’es offert ! Et quand tu ne tapotes pas, tu regardes le foot. Tu crois que c’est une vie, ça, pour moi ?
-Tu n’as pas dérangé mes papiers, au moins ?
-Le tas qui était dans l’armoire est parti à la collecte…
-Tu as jeté cinq ans de travail !!!
-Il y a plus longtemps que toi, que je travaille dans cette maison.
-Ce n’est pas la même chose.
-Ah ! oui… Moi, je ne travaille pas ?
-L’écriture, ce n’est pas prendre les poussières.
-Ça le devrait. Ou plutôt, prendre les poussières c’est plus utile.
-Je ne discute plus avec toi.
-Tu as raison. C’est comme si je parlais à un mur… Alors, que tu te taises ou non…
-Nous n’avons pas la même culture.
-Tu me l’as déjà dit. Mais, ma culture qui consiste à te nourrir, à te blanchir et à prendre tes poussières est autrement plus utile que la tienne.
-C’est une façon de voir.
-C’est tout vu. Et puis, comme je viens de te le dire, cela va changer.
-Je voudrais bien savoir ce que tu comptes faire ?
-Comme on ne peut pas manger de la ferraille, je vais vendre ton ordinateur. Ainsi, on pourra partir trois jours à la mer.
-Personne, tu m’entends, personne ne touchera à mon ordinateur.
-Trop tard. L’étudiant de l’autre palier est intéressé.
-Il n’entrera pas.
-Je voudrais bien voir qui l’en empêchera ?
-Moi !
-Toi ? Tu ne t’es pas regardé ? Tes bras ont l’épaisseur de mon manche de brosse ! Tu tiens à peine debout. Regarde-moi, à force de faire le ménage, je soulève des poids toute la journée.
-Tu sais que tu me fais peur !
-Tu as raison d’avoir peur. L’ordi, c’est pour commencer. Je vais m’attaquer à ta bibliothèque.
-Jamais. Les livres, c’est sacré !
-Ta collection de La Pléiade a englouti toutes nos économies… le comble, c’est que je n’ai jamais vu que tu en ouvrais un.
-Ce sont des ouvrages de référence.
-Tu ferais bien d’en avoir des références, si tu veux te donner la peine d’aller chercher du travail.
-Je suis un artiste…
-Un parasite, oui…
-Nous ne nous comprenons plus.
-On ne s’est jamais compris, plutôt.
-Alors, pourquoi m’as-tu épousé ?
-Je me suis dite, avec tous les papiers et les livres que tu avais déjà à l’époque, que ce serait amusant de prendre les poussières !...
-Et maintenant ?
-Ça ne m’amuse plus…