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L’alexandrin du verre à dents

-Louise, j’ai perdu mon dentier !
-Tu l’avais encore hier soir, Pitchou…
-Je sais bien, puisque j’ai posé pour toi en Saint-Antoine.
-Exact. On a mangé la tête de cochon après.
-Ce matin, on était où ?
-J’étais à Médiart, pour mesurer les panneaux.
-J’ai coupé la ficelle d’un emballage avec les dents.
-C’est donc que tu les avais encore.
-Puis j’ai parlé avec Arthuro, ton prof de l’histoire de l’art.
-Tu ne les as pas perdues en parlant, comme c’est déjà arrivé ?
-Tu parles de la fois où je me suis disputé avec ton prof de nu ?
-Comment se fait-il que tu les perdes sans t’en rendre compte ?
-C’est pas comme tes pinceaux et ta peinture, mes dents ne font pas partie de moi.
-Je le sais tout de suite quand tu les as perdues, tu as une diction particulière.
-C’est pas difficile, déjà quand je dis « ami de la poésie bonsoir » je sens qu’elles vont tomber.
-Tu fais fuir mes clients potentiels.
-Quelle blague, ta poésie… et tes clients potentiels ! Ton idée de faire de la peinture poétique, c’est d’un con. Tu ne lis que des magazines !...
-Tu ne vas pas recommencer, dis ?
-Je te promets, si je retrouve mes dents.
- As-tu ris ? Tu les perds vite quand tu ris.
-T’es marrante, toi. Qu’est-ce qu’on emballe pour le moment ?
-Les rosses de la vie.
-Elles ne sont pas dedans ? On dirait la crémière du coin.
-C’est elle.
-C’est tellement réaliste que la toile sent le camembert.
-La pauvre. Elle a fermé boutique.
-Et celle-là « ô temps suspends ton viol », c’est à propos de quoi ?
-Pourquoi, tu dis ça ?
-Mais parce que van Dyke ne t’a pas violée à son vernissage… Tu voulais que ça…

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-Cherche tes dents tu ferais mieux.
-Par contre « La nuit d’étang » j’aime bien.
-T’aimes bien quoi dans « La nuit d’étang » ?
-Le jeu de mots. Et « Hitler », tu ne prends pas Hitler pour Médiart ?
-Elle n’est pas sèche.
-C’est ça, j’ai perdu mes dents en descendant dans l’atelier pour reclouer un cadre ! C’est alors que tu me les as demandées pour les copier.
-C’était pour Hitler.
-Non ! Hitler a mes dents ?
-Je voulais lui faire une gueule avec des dents de la mutuelle, comme toi.
-Qu’en as-tu fais ?
-Attends, je les avais posées sur le rouleau de papier WC.
-Dis tout de suite qu’elles te dégoûtent ?
-C’est répugnant, tes fausses dents. Ça dégoûterait tout le monde. Alors, tu penses une artiste comme moi qui peint comme Mallarmé écrirait sa poésie… Elles étaient à côté de mon coude gauche…
-Tu fais de grands gestes quand l’inspiration à ta poésie picturale te met en transe. Surtout quand tu t’attaques aux cheveux… A vrai dire, eux sont bien faits. On les compterait. Tu aurais dû te faire coiffeuse.
-J’y suis… la mèche.
-Quoi la mèche ?
-La mèche d’Adolphe. Elles ont glissé, pendant que j’esquissais la mèche d’Adolphe. J’ai regardé par terre. Je n’ai rien vu. Puis je les ai oubliées.
-On voit bien qu’elles ne te servent pas.
-On va les chercher.
-Inutile.
-Quoi inutile ?
-Regarde dans ton pot de vert Wehrmacht.
-Tes dents !...
-Faudra les essuyer.
-Peintes à l’acrylique !... les décaper au chalumeau, plutôt…
-Qu’est-ce que je vais faire ?
-Tes dents vertes ? C’est à peu près la couleur qu’elles ont d’habitude… J’ai une idée. Je les signe et elles deviennent une œuvre d’art !

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