Un citoyen illustre.
-Gustave Rimarien nos auditeurs ne vous connaissent pas bien. On pourrait même dire pas du tout. Est-il vrai que vous n’êtes pas l’inventeur du préservatif ?
-C’est exact. Je ne m’en suis même jamais servi.
-Même à titre expérimental ?
-Tout à fait.
-Et dans le domaine musical. On chuchote que vous n’êtes pour rien dans la 3me symphonie de Beethoven ?
-Ni dans les suivantes du reste. Je ne sais pas pourquoi on m’a prêté des dispositions musicales. Je chantonne parfois, c’est tout.
-Vous auriez écrit quand même « Le véritable exil n’est pas d’être arraché à son pays ; c’est d’y vivre et de n’y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer. »
-Cette légende m’a longtemps collé à la peau. Cependant, cette pensée n’est pas de moi. Cela m’a fait du tort en me prêtant une intelligence que je n’ai pas.
-Si elle n’est pas de vous, elle est de qui ?
-Montalembert.
-C’est le monde à l’envers, alors ? A la rédaction on m’a dit « va donc interviewer Gustave Rimarien. Tu seras surpris. »
-Vous ne l’êtes pas ?
-Si…
-Alors quel est votre problème ?
-Je me demande ce que je fais ici.
-C’est extraordinaire à la fin. Tant de gens accordent des tas d’interviews tous plus inintéressants les uns, les autres, et avec moi vous faites des histoires.
-C’est que vous, personne ne vous connaît.
-Mais c’est magnifique au contraire. Enfin, voilà un anonyme qui n’a pas à dire davantage que des vedettes, et qu’on interroge. C’est quand même intéressant le point de vue de quelqu’un qui n’a rien sous le coude au même titre que ceux que les journaux et magazines photographient à longueur d’année.
-Vous n’avez rien à dire sur quoi ?
-Poseriez-vous la question de cette façon à Johnny Hallyday ?
-Lui a une actualité. Bien sûr, tout le monde s’en fout un peu ; mais on le connaît, on sait vaguement qu’il chante. Il a une jeune femme et lui c’est un vieux monsieur. Il a adopté un enfant avec l’appui de Bernadette Chirac.
-C’est bien ce que je disais. Vous faites des chichis pour des non-événements. A peine quelques centaines de gens savent de quoi on parle. Moi, je vous propose des non-événements inédits.
-Par exemple ?
-J’ai eu un malaise cet après-midi.
-A cause de quoi ?
-Voyez ça vous intéresse…
-Pas plus que ça.
-Et savoir ce que j’ai mangé ce matin ?
-Franchement non.
-Eh bien ! la preuve est faite. Vous ne vous intéressez pas aux Belges moyens. Voulez-vous que je vous dise, monsieur, vous êtes un mauvais Belge.
-Je vous la retourne.
-Quoi ?
-La question.
-Laquelle ?
-Etes-vous un bon patriote ?
-Pas plus que vous.
-Là, vous voyez.
-Non, je ne vois pas. Parce que moi, je ne vais pas embêter les gens pour savoir s’ils font usage du préservatif.
-Reprenons le début. Savez-vous que Mac Cartney va être grand-père ?
-Voyez-vous ça.
-…que Jimi Hendrix est mort à 28 ans.
-Non. Et c’est bien dommage de mourir si jeune.
-Et qu’est-ce que ça vous inspire ?
-…que les gens ont tort de vivre par procuration. Et qu’ils feraient mieux de cultiver le talent qu’ils ont, même s’il est petit, que d’aller s’évanouir de bonheur devant les pitres qui nous font passer le temps ; car le temps, leur temps, s’ils l’utilisaient pour eux-mêmes sans se le faire bouffer par les autres, il y aurait tellement à voir dans les rues, que plus personne ne ferait attention. On ne compterait plus les natures et les génies. On ne pourrait plus leur dire n’importe quoi, surtout qu’ils sont des imbéciles parce qu’ils n’ont pas le look de Boy George, et ils se méfieraient des prétentieux qui se bousculent devant le micro pour nous faire part de leurs petits riens, leurs chichis, leurs femmes, leurs règles, l’âge qu’elles ont, souvent la moitié de celui de l’artiste, sur quel ponton ils les ont rencontrées, basculées dans la coursive, frotter leurs culs au don Pérignon ; ils ne nous les briseraient plus des récits de leurs voyages et combien ils gagnent, tout ça, dit négligemment, la gueule en coin et le sourire carnassier ; à moins qu’ils ne prennent l’air franchement modeste de Zidane, si bien que tout le monde croit qu’il en a derrière la casquette, alors qu’il en ait ou pas, qu’est-ce que ça peut foutre ? Le tout évidemment dit comme s’ils avaient été surpris dans leur intimité, l’air faussement outré que l’on s’intéressât de si près à leur personne, à la limite menaçant de porter plainte et le faisant parfois, pour que les projecteurs balaient davantage leurs piscines, leurs stupres et leurs vies privées, les fouilles dans les tréfonds jusqu’à compter dans leurs vomis les carottes qu’ils ont mangées la veille et combien de feuilles de haschich ils consomment par pétard.