Comité de rédaction.
-Messieurs, vous n’êtes pas sans avoir remarqué que le tirage baisse de façon continue depuis l’année dernière. Vous avez une idée ?
-Si on se lançait dans une nouvelle enquête comme celle que Firmin avait imaginée ?
-Vous savez comment ça s’est terminé ? La police a fini par découvrir que c’était Firmin l’assassin de la rue Monulphe, à cause des détails qu’il donnait dans ses papiers. Il a quand même pris 20 ans, bien qu’on ait tenu compte que c’était pour préserver l’emploi.
-Si vous voulez de l’événement dans une ville où il ne se passe rien, comment voulez-vous qu’on fasse ?
-Justement. Vous devez faire une enquête sur ceux qui écrivent qu’il ne se passe rien.
-Sur nos confrères ?
-Vous appelez ça des confrères ? Des gens qui relatent le non-événement, qui s’extasient quand une autorité fait un pet ?
-N’est-ce pas ce que nous avons toujours fait ?
-Oui. Mais nous le faisions dans un sens. Tout le monde sait que notre journal est libéral et pour qui il roule. Par contre, nous avons toujours été durs avec les autres.
-Et alors, où est la différence avec eux ?
-Mais, malheureux, vous ne voyez pas dans quelle impasse nous sommes ? Aujourd’hui, tout le monde roule pour tout le monde. Dès qu’une autorité quelconque fait ou dit quelque chose, la meute se récrie au miracle, à la grandeur du personnage et cela qu’il soit de droite ou de gauche.
-Que faudrait-il faire ?
-Faire une enquête sur ceux qui sont contents de tout, quoi qu’il arrive. Les marchands de bonheur, les mielleux, les énamourés du pouvoir…
-Il y en a beaucoup.
-Vous en prenez quelques-uns au hasard. Vous ne les lâchez plus. Je veux savoir pourquoi en se réclamant d’un parti, ils acclament ceux d’un autre bord. Pourquoi ils sont devenus politiquement asexués.
-Mais pour vendre leur soupe à la majorité apolitique, pardi.
-Evidemment, mais il y a encore d’autres raisons.
-Par exemple ?
-Un gars qui place sa famille dans l’administration n’est pas certain que la législature suivante aura la même couleur, alors il se méfie. Plutôt que de retourner sa veste au bon moment, n’est-ce pas plus utile pour lui de vanter les mérites de tout le monde ?
-Vous croyez que notre soutien au libéralisme est devenu obsolète ?
-Non. Mais je crois que notre ultra libéralisme pourrait s’accommoder d’un socialisme libéral. Et qu’aujourd’hui parce que les mots ne veulent plus rien dire, il conviendrait de faire comme tout le monde.
-Vous nous dites qu’il faut faire une enquête sur le pourquoi des mielleux, alors que vous vous apprêtez à faire la même chose.
-C’est quoi le plus important ? Le tirage oui ou merde ?
-C’est une contradiction.
-Non. Parce que nous, nous conserverons notre tête et notre façon d’être et que si nous devenons opportunistes ce sera pour la bonne cause.
-Qu’est-ce qui nous distinguera des autres ?
-Notre idéologie, sous-jacente, permanente et lorsque nous tresserons des couronnes de laurier à nos adversaires, nous ne manquerons pas d’y glisser quelques épines.
-Nous finirions par être découverts et les mielleux auraient beau jeu de nous mettre en boîte. C’est bien connu, les mielleux ne tirent à boulets rouges que sur ceux qui ne le sont pas, leurs seuls ennemis, puisqu’à leur lecture, le public découvre ce que les mielleux sont.
-C’est là justement que votre enquête pourrait se révéler payante. Nous n’aurions plus qu’à les calmer en divulguant leurs secrètes pensées, leurs affiliations sous le boisseau, leurs parrains dont ils sont indirectement complices, etc…
-J’ai compris. Vous voulez renouer avec une presse polémiste. N’avez-vous pas peur de tomber dans les travers de la presse people ?
-C’est le danger. Mais nous pouvons nous en prémunir en évitant les cancans du vedettariat télévisuel, en ne relatant que du politique, de l’économique et du social.
-Et tout ça dans une optique libérale ?
-Bien entendu.
-Alors, nous allons avoir du mal…