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Sus aux vieux !

Il ne faut pas croire ce que l’on vous dit à propos des vieux.
Il n’est pas vrai qu’ils sont parmi les plus écologistes, les plus respectueux des autres, les plus attachés à la citoyenneté. Les vieux sont comme toutes les autres classes d’âge. La seule différence, c’est que lorsque l’âge approche où il faudra lâcher la rampe, on se sent une boule dans la gorge. On n’avait jamais pensé à cela jusque-là. Et si la vie qu’on nous a toujours dite être une merveilleuse comédie, n’était pas en réalité qu’une sombre tragédie ?
La faiblesse venant, les nouveaux vieux ont une plus grande vulnérabilité et c’est là qu’ils ont droit à toute notre sollicitude.
Question citoyenneté, il serait faux de prétendre que c’est la jeunesse allochtone qui est la plus insouciante par sa pollution et la dégradation des immeubles et de l’environnement. La petite vieille qui nourrit des pigeons malgré l’interdiction communale, celle qui jette ses déchets alimentaires dans la rue depuis son étage, l’automobiliste âgé qui prend une place de parcage réservé aux handicapés, je les ai vus « sévir » impunément. Dans le genre prédateur, ils ne sont pas mal non plus. Ils sont même plus vicelards. Personne ne s’attend à ce qu’ils soient des délinquants. Ainsi, ils bénéficient d’un préjugé favorable.

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Cette population vieillissante n’a, en général, de progressiste que dans son extension. On ne peut pas dire que la vieillesse confère une sagesse plus grande. Les votes conservateurs y sont certainement plus importants que dans les autres classes d’âge. Les réunions publiques de quelques personnes âgées s’avèrent parfois édifiantes. Pour m’être assis quelques fois sur un banc, j’ai surpris plus d’une conversation étonnante à propos des étrangers.
Devient-on raciste avec l’âge ?
Il faudrait poser la question à un sociologue.
Le grand âge induit-il un grand égoïsme ?
Il y a dans la conservation prolongée, sans doute plus de prudence, plus de retenue, plus d’économie que dans la vie d’un prodigue, sans pour autant avoir nécessairement plus de sagesse. Dans la littérature et le théâtre, le prêteur sur gage, l’avare, l’homme dur et peu séduit par l’altruisme sont souvent campés dans le registre de l’homme âgé.
Serait-ce une image à détruire ou à expliciter ?
Les maisons de retraite sont souvent des lieux où s’expriment des haines inexpugnables, la source de convergence d’une lutte pour le pouvoir où la médisance et le mépris des autres sont à peine contrebalancés par des réunions collectives et des plaisirs conviviaux aussitôt pervertis par des somnolences et des absences de l’esprit.
Il est vrai que le temps pour les personnes âgées s’y allonge dangereusement, que l’ennui et le désoeuvrement rendent méchants ceux qui n’ont pas une réflexion suffisante pour approcher sans mal l’âge de la vieillesse. Les nouveaux Géronte, sans les soucis de travailler et d’élever une famille, perdent les seules occupations qui entretenaient l’activité de leur esprit. Les compensations du genre Scrabble, mots croisés ou Sodoku, ne sont que des passe-temps – mot terrible – pour attendre la fin, toujours imminente et prochaine, parfois souhaitée, mais différée, ô combien, par les artifices de la médecine et la sollicitude intéressée des tenanciers des homes, ces Ténardier des temps modernes.
Et la gueule des visiteurs du dimanche… de ces futurs vieux qui viennent au contact de leur déchéance future, quel spectacle !...
C’est qu’aujourd’hui, progrès oblige, comme on ne meurt plus à la maison, on n’y vieillit plus non plus.
Dehors l’engeance !
Il est bien connu que les vieux dans un jeune ménage n’ont plus rien à y faire, sinon amorcer une catastrophe dans les relations familiales par leur seule présence.
Cette société qui ne veut plus entendre parler de la lutte des classes, a exclu aussi les passerelles entre les âges.
Aussi, les malchanceux, ceux qui n’ont pas ou qui ont perdu un patrimoine ne peuvent pas compter, l’âge venu, être recueillis par la génération suivante. Pour certains vieillards, c’est la fin des relations avec la famille, la vie dans un certain cadre. Généralement, cela vient avec la perte de l’autonomie.
Les jeunes n’en ont rien à cirer de trimballer l‘ancêtre entre la chaise percée et la chaise roulante. Les homes non plus d’ailleurs, si ce n’est pour percevoir des indemnités supplémentaires compensatoires.
Cette situation où avec l’autonomie se perd aussi tous les liens affectifs, nous pend à tous en-dessous du nez.
Comme la vieillesse précède la mort, et que dans une société de consommation la mort est proscrite, on la cache dans des funérariums et dans les hospices qui sont leurs antichambres.
Ainsi la boucle est bouclée. Et quand le dimanche après-midi, on quitte la main tremblante et décharnée de son vieux, on pousse un ouf de soulagement, rendu à l’air libre.
Certes, certes, nous sommes mortels et notre tour viendra.
…J’ai vingt-cinq ans, répond Marquise au vieux Corneille, et je t’emmerde en attendant.
Sauf que Marquise-Thérèse de Gorla, dite Mlle Du Parc, était une comédienne française, née en 1633, et décédée à Paris le 11 décembre 1668, il y a 338 ans…
Alors, vous pensez ses 25 ans, comme on s’en fout…

Commentaires

Analyse lucide, Richard!Mais dans ce délabrement physique et mental, je décèle une lueur d'espoir quand tu dis: "Il est vrai que le temps pour les personnes âgées s’y allonge dangereusement, que l’ennui et le désoeuvrement rendent méchants ceux qui n’ont pas une réflexion suffisante pour approcher sans mal l’âge de la vieillesse". Philosopher, c'est apprendre à mourir. C'est pendant la vie active qu'il faudrait, par l'introspection courageuse et la fréquentation des philosophes, dégager la force intérieure qui nous permettra de traverser sereinement le dernier âge.Car il y a des vieux heureux et ce ne sont pas forcément des riches avec patrimoine.Au lieu de se racrapoter, de gémir sur son sort et d'emmerder son entourage, on pourrait continuer à se dresser sur ses pattes de derrière et à faire face avec l'âme équanime d'un Epictète, d'un Spinoza ou d'un vieux maître zen.Courage, Richard!

Un aspect abordé, mais qu'on peut souligner avec l'éclairage de l'humour.
L'envie de signaler que j'adore le second degré avec des dames âgées qualifiées d'indignes dont on voit parfois des vidéos sur internet. Une idée de prochain sujet?

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