Karl Marx à Droixhe.
-On est mal barrés, avec l’extinction des espèces, paraît que bientôt il n‘y aura plus de poissons que chez Humblet, la fonte des glaces que dans les verres de whisky, le pétrole : c’est la fin dans dix ou quinze ans, le trou dans la couche d’ozone et Isabelle Durant qui rempile à Schaerbeek, est-ce que la société pourrait être autre que capitaliste ?
C’est Anatole qui pose la question.
Nous, on est sciés. On parlait des filles… du beau derrière de Simone la Camerounaise du 27 bloc C, c’est vrai qu’elle ont de ces fesses, les Noires… comment elles font ? – paraît que les mères les massent toute jeune à la bière !... - du coca que certains trouvent pas bon light, du foot pour ceux qu’ont pas grand-chose à dire, du MP3… enfin de ce qui est social, activités et démocratie, quoi... Et voilà Anatole qui nous sort sa vanne, qu’on en reste comme deux ronds de flan.
-Où c’est que tu vas chercher ça, mec ? T’attirerais pas le désastre ? C’est quoi l’ozone ? Nous on connaît que la zone.
On savait même pas que la société était capitaliste !...
- T’es sûr de ce que t’avances ? Pourtant, c’est nous la démocratie, mon con ! Ça se saurait !
Anatole est têtu. Il rempile.
-Nous les jeunes, on voudrait savoir si on pourrait pas faire un meilleur usage du capitalisme.
Nicole qu’est toujours avec nous, à cause de ses besoins terribles, voilà qu’elle rabaisse sa jupe et s’en va sur la pointe des pieds. Pour elle, le meilleur usage, c’est qu’au moins les bleus sous sa liquette, liment pas à côté du petit bouton.
-Combien de fois qu’il faut dire que c’est juste en-dessous !
Faudra bien qu’on discute avec ce bouffon qui fait fuir la boîte à plaisir.
Reste plus qu’Arlette. Si l’enfoiré n’a pas autre chose à dire, elle va passer un sacré quart d’heure, si Khaled veut bien. Faut bien que les faiblasses comprennent qui tient la barre…
-Tiens la guerre au Liban, en Irak, partout… c’est-y pas causé par le capitalisme ?
On savait même pas qu’ils étaient en guerre le Liban contre l’Irak ! Tu connais un Irakien, toi, le je-sais-tout ?
-Non. Mais le type chez lequel on peut acheter un paquet de clopes après minuit est Libanais.
-C’est toujours quelque chose.
-C’est qu’on dépend du hasard pour vivre et quand on s’occupe de nous, c’est pour faire chier.
On est bien d’accord, les éducateurs au gnouf. Surtout le petit Léon qui sort d’une « maison » parce qu’il vendait de la daube à l’école.
-J’ai jamais compris. Je vendais que de la bonne, pure marocaine…
Mais Anatole décramponne pas.
-Le vendeur d’électroniques « chez Saoud », c’est sur nous qu’il l’assure, son blé.
Tous les crevards sont contre l’Anatole. C’est normal. Voilà un type, Saoud, qui s’est fait piller deux fois, qu’on y a crevé un œil l’année dernière pour 36 euros dans son tiroir, et il aurait pas droit de s’enrichir ?
C’est pas ça qu’a voulu dire Anatole. Il en bafouille, il vise plus haut, les étoiles.
-La politique, les générations suivantes, les poissons qui baisent plus et qui piquent vers le fond pour pas voir le mazout qu’est au-dessus. Tiens, ce con qui disait qu’on allait bientôt plus en avoir. Il tapisse les océans, le mazout !… Pas difficile qu’on en ait plus. Y a plus qu’à le récupérer.
-Et le chômage ?
On est furieux. On est tous des rayés, enfin ceux qu’ont fini de tripler leur dernière année technique.
-C’est les chômeurs, les capitalistes, nom de dieu. C’est eux qu’ont droit et pas nous.
Si c’est ça le capitalisme, oui, on est contre.
-Et le travail ?
Pour faire quoi ? Des conneries qu’on sait pas à quoi elles servent ? Et puis on saurait même, on s’en fout. Ce qu’on veut, c’est des produits finis, avec des touches pour appuyer dessus et des piles.
Le ferrailleur Defrance peut toujours courir. Personne veut se faire couper les doigts à la cisaille. Les riches gardent tous leurs doigts jusqu’au bout, pourquoi pas nous ?…
Anatole exulte. On vient de citer un exemple de riche qui lui botte.
-C’est trop chères les piles, qui dit Jacquemard, inspiré depuis que son transistor est nase.
Si le capitalisme vend des piles exprès pour nous emmerder à des prix pareils, oui, on n’en a rien à foutre du capitalisme…
Déjà on n’est plus attentif. Arlette montre son cul à Khaled. Elle a toujours bandé pour lui. Faut dire qu’il a le prestige, 15 jours au centre fermé/ouvert l’année dernière, ça fait du galon.
-Et le travail intérimaire, c’te vacherie…
On coupe Anatole, c’est trop. Arlette attige Khaled. Mais Khaled est un caïd, il veut bien partager si on lui demande. Faut qu’Arlette s’exécute. Elle nous sort un nibar. On y tâte un peu le mamelon.
-Arrête, qu’elle dit, c’est sensible aujourd’hui.
Elles ont toujours quelque chose pour chialer…
Khaled rigole, lui peut les pincer comme il veut. Elle demande que ça.
C’est ça le capitaliste resurgit de nulle part, Anatole. Khaled peut et toi tu peux pas.
-Et pourquoi je peux pas, s’insurge Jacquemard qui se poignait dans un coin, histoire de calmer son désespoir ?
-Parce que Khaled peut te casser la gueule et toi, tu peux pas.
Evidemment vu sous cet angle, c’est moche le capitalisme, sauf pour Khaled.