Saut à la corde dans le néant.
Chacun y va de son petit couplet après la pendaison de Saddam.
La violence de cet homme du parti Baas a fini par se retourner contre lui.
Ce qui est déroutant, c’est qu’on le pende au moment où il n’est plus en mesure de perpétrer de nouveaux crimes.
Il paie pour ce qu’il a fait, c’est entendu.
Mais, lorsqu’il était « l’homme providentiel » des Américains dans la guerre contre l’Iran, il était déjà coupable de nombreux crimes. Les scrupules de Bush père n’étaient-ils pas à la hauteur de ceux de Dobeliou ?
Bien entendu les démocraties occidentales complices courent toujours, selon le vieil enseignement que la politique n’est pas la morale.
Saddam, réputé intelligent, aura été submergé par la haute opinion qu’il avait de lui-même et son absolue foi en sa bonne étoile. Avec le simple bon sens d’un Hafez el-Assad, aussi criminel que lui, la retenue pleine de ruse de Khadafi, il aurait poursuivi sa carrière de dictateur sans encombre, comme ceux, un peu partout dans le monde, qui sont toujours à la tête des pays qu’ils dirigent d’une poigne de fer.
Reste l’image d’un homme de 69 ans que l’on pend.
Ames sensibles s’abstenir.
Les abolitionnistes s’enflamment. Il n’aurait pas fallu pendre Saddam, ni les autres responsables des brutalités collectives, des massacres et des génocides. A ce raisonnement se greffe l’idée d’un tribunal international qui exposerait à vie les artistes du crime à l’attention des foules dans une prison modèle.
S’il y a bien une espèce qui n’a pas trop mal réussi dans le crime, c’est bien celle des criminels d’Etat qui, à part quelques exceptions, meurent dans leur lit à un âge respectable, entourés de l’affection des leurs, avec des obsèques filmées pour l’actualité.
On pense au tout dernier, Pinochet, émule du Caudillo. Même si quelques malchanceux : Mussolini pendu à un crochet de boucherie, Ceausescu et sa femme passés à la mitraillette, n’ont pu rallier l’éternel dans de bonnes conditions.
A quelque chose malheur est bon. Il est naturel que parfois les grands aient des cous qui connaissent le poids de leurs culs. Autrement, le déséquilibre de la justice serait davantage aggravé de l’impunité des tyrans. Les croyances anciennes pourraient faire croire au peuple, que les puissants sont des substituts de Dieu, quoique la fin de Louis XVI les ait démenti sur ce point.
Cela démythifie les dictateurs qu’on les sorte de leurs palais en brisant quelques vases, pour montrer aux peuples qu’ils sont comme tout le monde, et de les pendre ensuite, afin de montrer qu’ils sont mortels.
On a bien décapité et brûlé le Chevalier de la Barre à l’âge de 19 ans pour ne pas voir enlevé son couvre-chef au passage d’une procession, et cela ne date pas du moyen-âge. Il y eut, depuis, tellement d’innocents qui payèrent de leur vie des changements de régime, des prises de pouvoir que de cette époque à nos jours, la liste en serait fastidieuse.
Pourquoi faut-il que se soient toujours les lingères qui montent sur l’échafaud pour la disparition d’un mouchoir dans la garde-robe de leur maîtresse ?
L’ennui, c’est que le plus souvent les despotes déchus sont remplacés par d’autres aussi cruels, si bien que les justiciers ne valent à leur tour que le prix d’une corde.
Mais, pendant quelques jours, ils auront incarné la Justice. Ils auront été le symbole d’une action réparatrice des deuils et des sévices du dictateur déchu.
Saddam a fait trembler son entourage. Il a brillé de suffisance à l’étranger. On se rappelle l’interview de Patrick Poivre d’Arvor, plié en deux, arpentant à la suite du raïs les couloirs du palais de Bagdad. On l’aurait cru à une demande d’augmentation chez Etienne Mougeotte.
Alors, Saddam était un chef d’Etat respecté par toutes les démocraties.
L’ami de l’Europe, quelques années plus tard, se fera prendre dans un trou à rats près de son village natal, où, suite à une dénonciation, les Américains iront le cueillir.
Il ne sera pas mort au milieu des ruines de son palais, les armes à la main. C’est dommage pour sa légende ; mais, finir pendu, c’est plus dans la manière des criminels à son image.
Cette exécution est-elle opportune ? Ne va-t-on pas taxer les autorités irakiennes sous contrôle américain d’avoir obéi à l’occupant ? Bien sûr, une partie de l’opinion musulmane en fera un martyr. Les attentats en Irak se poursuivent. Les Américains, avec ou sans l’ombre de Saddam, ne sont pas prêts de sitôt à voir le bout du tunnel.
Une seule chose est sûre, depuis l’assassinat de Jules César, aucun tyran ne meurt de façon anonyme, même ceux qui finissent dans leur lit. On dirait qu’ils ont besoin de prendre l’humanité entière à témoin de l’injustice qui leur est faite de ne pouvoir survivre en augmentant leur vie de celles qu’ils ont ôtées aux malheureux.