Où on va ?
-C’était bien ?
-C’était pas mal chiant.
-Qu’est-ce que t’as foutu ?
-Pas grand-chose. C’est vers minuit que ça n’a plus marché.
-T’as fait ?
-Je voyais tout qui tournait, puis je me suis mis à dégueuler derrière le sapin.
-Dans un dernier réflexe pour pas qu’on voie ?
-Sauf qu’entre les glaviots, j’avais des sourds gémissements, bref l’horreur.
-T’as pas vu Julio Iglesias ?
-Il est superbe. Ma femme l’adore. C’est le seul avec qui elle aurait une liaison sans que je sois jaloux. Son père a tout gâché. Il braillait « Chevalier de la table ronde » pendant le concert. C’était ignoble. Mais, c’est à André Rieu que ça a mal tourné. Le violon sirupeux…
-J’ai vu. En live depuis City Hall. Grappelli à côté...
-Ça fait trop chier les réveillons. Toute la soirée à table. On ne l’ouvre que pour bâfrer et picoler. Quand on devrait se taire devant les grands chanteurs, on gueule… Tu peux être sûr que c’est ça qui m’a fait vomir…
-…les autres jours, c’est pareil. On s’emmerde en famille.
-Oui. Les vieux ne comprennent plus les jeunes. Les jeunes n’ont jamais compris les vieux.
-On n’a rien à se dire depuis longtemps.
-On ne sait pas. C’est pour ça qu’on se réunit, pour savoir…
-De ce côté-là, on peut dire qu’on n’est pas déçu.
-Oui, 2006 est pire que les autres années.
-A quoi c’est dû ?
-Déjà en temps normal, on fait la gueule. A Noël, on se passe rien. Tout qui sort. Puis, c'est trop long. On tient pas le coup. Les vieux, c'est pareil. Ils débloquent au bout de dix minutes. Ils ont plus l'entraînement.
-On en arrive à la Grande Vadrouille à souhaiter la victoire des Allemands….
-Noël sans neige, comment veux-tu qu’à la télé on fasse du live ?
- A Charleroi, ils auraient bien fait d’attendre le 24 décembre, pour les scandales…
-…qu’on ait au moins un sujet de conversation.
-Ma mère, pire que jamais, m’a demandé si je n’avais pas mis le petit Jésus dans la crèche à Mathilde. Elle s’est mise en tête d’être grand-mère avant cinquante ans…
-Tiens, elle s’appelle Mathilde comme l’autre ?
-L’autre quoi ?
-La princesse !
-La comparaison s’arrête là.
-Avant, sans la télé, on pétait des marrons sur la plaque du poêle, en crevant de peur que le père Noël vienne nous mettre le carnet scolaire sous le nez. A douze ans, j’y croyais toujours. On sentait que ç’aurait été plus emmerdant encore, en n’y croyant plus.
-Avant, ça se faisait chez ma tante. Elle est morte l’année dernière. On se mettait à table à six heures et on en sortait à minuit, pour dégueuler dans la cour.
-Evidemment, c’est moins pratique derrière le sapin.
-Mais, ça fera de la conversation pour l’année prochaine. On dira « Tu te souviens d’Albin qui a dégueulé derrière le sapin ? » Au moins tu tiens un souvenir.
-Il aurait mieux valu venir au monde orphelin.
-T’as vu l’ambiance des foyers d’accueil ? La cafeteria avec les guirlandes qui pendent des lampes, la gueule des surveillants qui râlent d’être de corvée et la vieille fille du secours catholique pour tirer au sort la console de jeux.
-Il faudrait les tuer tous.
-Une crèche vivante. Celui qui fait Jésus montrerait sa bite aux fidèles.
-Ou plutôt qu’aurait une mitraillette… qu’il y ait des morts.
-Avec le foie gras des super, c’est déjà fait.
-Au moins le jour de l’an, c’est plus vivant.
-Parle pour toi. Moi, le jour de l’an, je pars en boîte.
-C’est mieux, non ?
-L’année dernière, j’ai perdu l’oreille gauche.
-Comment ?
-Trop près des baffles. Y avait plus que cette table-là. J’entends plus de l’oreille gauche.
-Moi, je suis rentré bourré. Ce n’est que le lendemain que je me suis rendu compte que j’avais écrasé quelqu’un !
-C’était qui ?
-J’ai jamais su. En rentrant, on s’est compté. Il manquait personne.
-Et dans les journaux ?
-Aucune trace. Enfin pas sur la Nationale… C’était sans doute un lapin de garenne. Tu te rends compte qu’il aurait pu abîmer ma caisse ?
-Rien que pour ça, on devrait plus sortir ces jours-là.