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RELATIVISME ET PHILOSOPHIE

Les rapports de l'universel et du relatif, c'est toute l’histoire de la philosophie.
Les Grecs, en inventant les voyelles (voir phonèmes), ont démocratisé l’écriture. La lecture devient "transparente" et ouverte à tous du moment que le scribe n’en détermine plus le sens.
Cet accès à l’écriture confronte les discours (discursifs contre intuitifs).
Parménide (l’être est immuable) et Héraclite (l’être change) affirment des vérités contradictoires.
Les Sophistes fondent la Rhétorique (l’art de l’argumentation) et témoignent du scepticisme qui entache toute théorie.
Socrate, Platon, Descartes, Kant, refondent la philosophie sur la critique d’un scepticisme intuitif, et sur l’échec du sens dont pourtant ils témoignent.
La philosophie démontre l’insuffisance de tout savoir, en même temps, elle témoigne que la seule manière d’atteindre à l’universel, c’est par le dialogue critique.
Hegel, dans son œuvre, a abordé la fonction du scepticisme dans la dialectique.
Les trois Discours exclusifs : théologique, scientifique et moral, se développent en stades successifs : thétique (axiomatique – vérité non discutable), après s’être opposés à l’antithétique (scepticisme) pour s’imposer dans le stade parathétique (dogmatique).
La philosophie ne se réduit pas au relativisme. Elle doit en produire la preuve.
Le doute de Descartes aboutit à une certitude absolue dès qu’il est poussé à ses conséquences extrêmes.
L’homme peut, selon les manières dont il se comprend lui-même et se veut comme tel, déterminer et accomplir l’essence de la subjectivité. L’homme de l’époque des lumières n’est pas moins sujet que l’homme-nation. Comme lui, il se veut le peuple et se donne tous les pouvoirs pour devenir le maître du monde.
La liberté moderne de la subjectivité se fond dans l'objectivité lui correspondant.
Rien de plus universel qu’un relativisme ou un historicisme bien assumé (Le scepticisme s'accomplissant est l'historicité de l'histoire. Heidegger). Hegel montre que le plus singulier rapporté à ses conditions devient la loi universelle.
Sartre qualifiera la phénoménologie de relatif absolu.
On touche au relativisme fondamental d’interprétation quand la signification d’un texte ne se comprend pas d'emblée. Une interprétation est alors nécessaire Une réflexion explicite est nécessaire sur les conditions qui font qu’un texte a telle ou telle signification. Le premier présupposé du concept d'interprétation est le caractère étranger de ce qui est à comprendre.
Le relativisme, comme tout scepticisme, ne se maintient que sur un mode partiel. Il s'appuie en fait sur une certitude universelle et ne s'applique qu’à un savoir second, mineur par rapport au savoir premier.

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La Dispute est remplacée par la Lutte, qui "ignore" le Scepticisme.
En se dogmatisant, la théorie échappe à l'intellectuel et passe à l’homme d'action, en cessant d’être une notion théorique proprement dite.
Le présupposé du relativisme est que tout point de vue partiel tend à s'imposer à l’universel, c’est-à-dire, en fait, à s'opposer au relativisme. La défense du relativisme est donc, d’abord, une position politique de tolérance laïque et d'insoumission à la vérité dominante. C’est la nécessité de la critique des positions dogmatiques. Il n’est pas vrai, pourtant, que cette critique soit réduite à la pure équivalence de tous les discours. Au contraire, c’est le discours dogmatique qui s’en trouve réfuté.
L’universel de la vérité ne disparaît pas pour autant mais se dissout comme objet pour devenir sujet, processus (Hegel) où le relativisme est un moment de l’universel. Il n’y a de vérité que par et dans le discours effectif. La vérité se déploie dans le discours comme surmontant l’erreur (le faux est un moment du vrai), d’une errance (Heidegger L’essence de la vérité) ou dans la confrontation avec une contradiction. Il n’y a pas d'autre vérité que celle qui nous concerne concrètement, pratiquement ("Ce qui limite le vrai ce n’est pas le faux c’est l'insignifiant" René Thom). La dialectique historique rassemble les positions opposées qui ne sont pas purement et simplement là depuis toujours et indifférentes. Le relativisme des positions, revendiquée par Marx comme lutte des classes, est toujours provisoire, lutte pour l’universel et déterminé par la totalité du système économique où elle s'engage. Il n’y a de liberté, d’existence, de sens et d'universel que pour nous, dans la finitude de notre être mortel ; mais la conscience de notre propre disparition est la présence de l’universel au cœur de notre intimité. Le discours qui nous constitue nous précède et porte au-delà. Notre singularité ne prend sens qu’en s'inscrivant dans cet universel, comme cet universel ne prend corps qu’en s'incarnant dans une finitude singulière.
Dans de nombreux domaines (langue, morale ou politique) « il y a vérité de ce côté des Pyrénées, erreur au-delà ». L'arbitraire des codes est une dimension essentielle de nos habitudes langagières, même si un examen minutieux montre que cet arbitraire apparent est entièrement déterminé par des contraintes locales (Aristote ramène l'arbitraire des constitutions politiques à des contraintes militaires). Le relativisme est donc la nécessité de s'adapter à des environnements différents, des positions, des histoires différentes. L'opposé du relativisme est la prétention d'imposer le même modèle à tous sans discrimination (totalitarisme). Cet aveuglement fanatique, qui est négation de l’autre et idéalisme simplificateur, a montré toutes les dévastations dont il est humainement capable. Le relativisme qu’on lui oppose est pourtant, ici, le parti de l’universel contre le particularisme, car il se veut point de vue qui s'élève au-dessus de sa propre particularité, de ses propres croyances. Le problème du relativisme devient donc celui de la rencontre de l’Autre et non la conservation d’une tradition, d’une identité ou d’un patrimoine.
Pour Lévinas, c’est la présence de l’Autre qui s'adresse à nous par son visage. Cette objectivité est ce qui fonde le relativisme essentiel de la rencontre de l’Autre et la nécessité de l'intervention d’un tiers comme arbitre impartial (Kojève) pour rétablir une juste égalité. Le relativisme est ici incontournable, mais pour s’abstraire dans le jugement d’un tiers où se fonde l'objectivité intersubjective de la science même. Le relativisme peut devenir le refus de cet arbitrage, rejetant toute communauté avec l’autre, fermeture au discours et à l’argumentation. Habermas insiste à juste titre sur l’universel de la raison produit par l’argumentation discursive, où se construit mon unité avec la collectivité. Comme la liberté, l’universel n’existe qu’en acte, c’est-à-dire dans le discours effectif.
Selon qu’on interprète le relativisme comme évidence simple d’une diversité irréductible ou qu’on en dialectise le contenu, c’est une dangereuse réfutation de l’universel ou ce qui le constitue au contraire comme exigence.
La prétention des cultures à se protéger est un refus du dialogue, de la parole de l’Autre. Il faut, bien sûr, protéger les peuples menacés et leur industrie ; mais, on ne peut se refuser au discours, à la rencontre ; on ne peut réfuter l’universel qui nous rassemble. C’est à cette prétention que nous devons le nazisme et qui ne s'explique, dans sa barbarie, qu’en réaction à l'universalisme français qui avait été détourné par l’Empire en instrument de domination et de négation de l’autre.
Êtres de parole, nous appartenons à la langue commune de tous les discours qui nous sont adressés et auxquels nous devons répondre. Aucune position ne suffira à rendre compte de notre liberté de mouvement, mais notre différence, notre position singulière, ont bien un sens pour tous ; nos oppositions sont structurelles (Lévi-Strauss), comme "Les parfums, les couleurs et les sons se répondent". Car l’universel n’est pas la négation de la finitude et de la singularité mais ce qui en est le fondement nécessaire pour qu’une existence puisse s’en détacher.

Commentaires

Quel feu d'artifice! Brillant article! Je crois que nous devrons toujours alterner entre Raison et Intuition. Il faut relire le chef-d-oeuvre de SCHOPENHAUER: "Le Monde comme Volonté (c-à-d nos instincts)et comme Représentation (en gros notre raison et nos mécanismes mentaux). Depuis la plus haute antiquité grecque, l’accent est mis sur la distinction entre l’intelligible et le sensible. De manière aussi profonde, le bouddhisme évoque le monde de la vérité conventionnelle et celui de la dimension ultime; il se propose de «voir les choses comme elles sont ». Le bouddhisme zen précise même : « voir la vraie nature des choses et de nous-mêmes au-delà des mots et des concepts par une transmission d’esprit à esprit».
Le monde de la Raison et celui de l’Intuition sont bien distincts. Mais il n’y a lieu ni de les opposer ni d’en écarter un au profit de l’autre. Les deux ont leur place en nous. Nous avons besoin de nos deux jambes pour marcher mais en marchant, les deux pieds ne sont pas sur terre en même temps. A la dernière Université d’été du Bouddhisme , un orateur de formation scientifique a mis en évidence le fait que si l’on peut par le langage et la raison mettre en évidence certaines caractéristiques des « choses comme elles sont », on ne peut en éprouver la vraie nature que dans un autre plan. Vouloir agir en même temps sur les deux tableaux revient à tenter d’éprouver la vraie nature de l’obscurité en craquant une allumette.
D'où les nombreux paradoxes qui émaillent notre vie et qui rendent bien nécessaire le recul qu'offre un scepticisme fondateur.Le bouddhisme utilise aussi le paradoxe pour nous mettre sur la voie de la compréhension juste qui concilie et unifie les contraires. Ainsi, Liliane SILBURN dans la magnifique anthologie intitulée « Aux sources du bouddhisme » fait remarquer : « …Il n’est pas possible d’enseigner et on enseigne la doctrine ; ce paradoxe et tous les autres n’en font qu’un : le paradoxe fondamental qui a sa source dans la nature de la Réalité ; tous les paradoxes particuliers en découlent : il n’y a rien à atteindre que l’absence de but. La question ontologique « Comment comprendre l’unité de l’absolu et du relatif ? » est posée du point de vue du relatif : qu’elle s’effondre et le renversement opère, la conscience intemporelle se manifeste. Autrement dit, la Réalité n’est nullement contradictoire, il n’y a donc de paradoxe que dans le discours ; sa formulation relève de la pensée qui s’efforce de saisir à la fois l’absolu et le relatif. Destiné à débarrasser la conscience de l’illusion qui l’empêche de se reconnaître elle-même pour ce qu’elle est, le paradoxe s’attaque de façon multiple et indirecte à l’illusion fondamentale de la conscience mondaine : son identification au moi substantiel et souverain ».
Et l'on en revient au problème fondamental: qui (ou plutôt "que")sommes-nous?

Là-dessus, je te souhaite, mon cher Richard III, des fêtes de fin d'année aussi courtes que possible dans la Simplicité Volontaire et j'espère que tu continueras, comme par le passé, à nous abreuver de ta prose vivifiante et déstabilisatrice!

Les choses me paraissent à la fois plus simples et plus profondes. Remplacons le mot universel par le terme essence et nous retrouvons un débat connu ou transcendance pour essence et matérialisme pour existence vont s'affronter. Là dessus la philo officielle prend grand soin d'oublier des philosophes qui ont fait avancer les choses, Jacques Maritain, Gustave Thibon et aussi de grands scientifiques,
Kurt Gödel sans oublier Einstein.
J'évoque un peu tout ça sur mon blog.
Cordialement
Jean-Louis

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