Je me porte bien
Messieurs les auteurs dramatiques, rendez-nous les vaudevilles d’antan, en les adaptant aux stress et aux turpides de la société de consommation.
Surtout n’adoptez pas le ton incantatoire, soit désespéré, soit béat d’optimisme, employé dans les maisons de la culture par des personnels déboussolés.
Mais faites nous rire de nous-mêmes, de nos prétentions au progrès, des temps modernes, de notre écœurant égoïsme, notre bourgeoisisme et notre prétention à ne jamais douter du système capitaliste.
C’est en refermant le livret de « L’habit vert » de G.-A de Caillavet et Robert de Flers que cette réflexion m’est venue à l’esprit.
Les auteurs y ridiculisent la prétention d’appartenir à l‘Académie française. Une institution prestigieuse, comme il y en a d’autres dans le panel des prétentions contemporaines.
Sous l’amabilité perce une noirceur inquiétante : on brocarde férocement les institutions, les plus hautes institutions de l’état avec une belle liberté d’esprit.
L’acte III est particulièrement drôle.
Le duc de Maulévrier, Académicien, reçoit sous la coupole le comte Hubert de Latour-Latour, l’amant de sa femme, la duchesse de Maulévrier.
Parmeline, professeur de musique de la duchesse et son confident, est surpris par le duc avec une lettre de la duchesse à remettre à son amant. Il n’a le temps que de la poser sur la table, parmi les papiers épars. Or, c’est le discours de Maulévrier à la réception du récipiendaire Latour-Latour. Le duc en lisant le discours de réception découvre son infortune.
Interruption de séance et brouhaha.
Le duc afin d’éviter le scandale revient sur sa décision de quitter la séance et reprend son discours, suite à l’insistance de Pinchet, secrétaire perpétuel, qui lui fait la confidence que lui aussi a été cocu par madame Pinchet dans de pareilles circonstances.
Le rideau tombe sur l’acte III par la reprise du discours du duc :
« Comment ne me plairai-je pas, monsieur, à voir l’amitié que je vous porte, s’accorder si parfaitement avec l’estime où je vous tiens, et à vous dire comme Epictète à l’un de ses disciples préférés : Vous êtes aimé des Dieux. Vous êtes chéri des Muses ! Vous êtes un homme heureux ! Et ma main vous couronnera de fleurs ».
Il manque aujourd’hui cette impertinence dans la chose bien dite et bien envoyée. Le public n’est pas si abêti qu’on ne le pense ou si traumatisé par la dureté de la vie au quotidien. Il sait encore rire et surtout se moquer des puissants, de l’argent, des conventions.
Pourquoi y a-t-il tant de réactions autour de cette affaire de Hasselt qui mouille notre marine dans un mouillage auquel elle ne s’attendait pas ? Parce que les simagrées que l’on fait autour des princes, des colonels comme des juges, le public n’en est pas dupe. Il subit l’année durant les pressions morales d’un régime voué à l’adoration de ces hauts personnages, il s’aplatit comme Lagardère devant son ennemi déguisé en bossu pour faire signer sur sa bosse les traites de la rue Quincampoix : « Sur ma bosse, monseigneur » ; mais dans le fond, le public obéit et feint le respect, parce qu’il ne peut pas faire autrement.
De temps en temps, comme Caron de Beaumarchais, quelqu’un ouvre une fenêtre et l’air frais s’engouffre On rit de ces fantoches. Et cela fait du bien.
Car, ces gens sont de nature humaine avant tout.
Tous les matins, ils se rendent aux toilettes comme tout le monde et y font exactement la même chose que les SDF sous les ponts. Evidemment si la matière est la même, le réceptacle et l’environnement diffèrent. Mais, s’ils diffèrent, c’est parce que notre bonhomie et notre façon d’écouter les leçons les bras croisés sont propres à notre gentillesse de modestes.
Ensuite, ça déjeune aussi, oui madame. Et ça pète un peu quand la bonne s’en retourne à l’office. Enfin le soir, il n’y a aucune honte à cela, quand monsieur est en train et madame aussi, à quelque haut niveau qu’ils appartiennent, ils baisent, votre honneur et peut être même pire, ils ne font pas que cela comme le souhaiterait le bon cardinal Daneels et la morale chrétienne. Ils ont des manières et des habitudes.
Est-ce trahir un secret que de dire cela ? Est-ce jeter le blâme et le discrédit sur l’Haut-lieu ? Pas du tout. Et de cela, tout le monde, absolument tout le monde, en a conscience.
Vous allez me dire que ce sont des évidences, que j’enfonce des portes ouvertes ?
Peut-être bien. Mais on ne sent pas cette égalité des mœurs et des besoins de tous dans les discours condescendants des uns et respectueux des autres. Et c’est en cela que ma remarque est une bonne chose.
Et il serait dommage que monseigneur ne baisât point et que sa dame qui serre contre son cœur le petit affamé d’Afrique pour les actualités et madame Anne Quevrin, qu’elle ne baisât point avec plus l’espoir d’un orgasme, que d’assurer l’avenir de la dynastie.