A propos de Nietzsche.
Ce n’est qu’aujourd’hui que je me suis déterminé à la vérité : je me suis trompé sur lui et lourdement.
J’ai longtemps épousé la pensée contemporaine de tous les traîne-bourgeois, des Glucksmann, Finkielkraut et autres BHL du petit monde de la philo, en jetant l’anathème sur une œuvre que je n’avais guère lue, en tous cas pas suffisamment, pour me forger une opinion.
Je me suis fait avoir en sombrant dans l’amalgame, dans l’espèce de contre fureur aveuglée par le ressentiment sur la volonté de puissance et de cruauté qui sourd de l’œuvre du philosophe.
J’ai tenu pour rien l’unique penseur athée des temps modernes, préférant la rhétorique de Comte-Sponville, ce postchrétien rentré pour sujets de bac.
J’ai surtout cru à l’honnêteté d’Elisabeth Förster-Nietzsche, sa sœur, dans la publication post-mortem d’écrits qu’elle aura falsifiés, dénaturés afin de les offrir en guirlandes d’honneur des croix gammées chantournées de fleurs d’Adolphe Hitler.
Elle le trahit une première fois aussitôt mort. Dixit son frère : « …si je meurs il n’y aura autour de mon cercueil que des amis, pas de curieux, et si je ne peux plus m’en défendre, ne permets pas qu’un prêtre ni personne d’autre vienne débiter des sornettes sur mon corps. Qu’on m’enterre sans mensonge, en honnête païen que je suis. »
Onze années de prostration après ses dernières volontés, Nietzsche meurt en 1900. Elisabeth oublie aussitôt ses promesses et les prêtres déploient à sa demande tout le tralala des fastes ultimes avec en apothéose, un christ en croix des prosélytes sur la face du cercueil réservée à la parade.
Voilà qu’elle se sent une vocation d’artiste, à l’inverse de Madame Commanville, la nièce de Flaubert qui brûla les lettres de Louise Colet, elle s’arme de colle et de ciseaux et fabrique sur des textes non publiés « La volonté de puissance ». Du sur mesure pour le national socialisme naissant, tandis qu’elle noue des relations amicales avec Adolphe Hitler.
Et voici Nietzsche trahi une seconde fois… Avec des traits destinés au christianisme sur le renoncement et l’aveugle ascèse, elle façonne des paragraphes nouveaux sur des thèses antisémites, pour les prémices d’un des hallalis les plus sanglants de l’Histoire.
On connaît la suite.
Débarrassé du préjugé fatal, l’œuvre de Nietzsche apparaît aux yeux du lecteur d’une grande richesse sombre mais toute intellectuelle, avec des splendeurs poétiques et des éclats de rire.
Il faut dire que les deux guerres perdues par l’Allemagne n’ont pas arrangé les affaires de Nietzsche, traité de surboche et de syphilitique transcendantal côté français, il sera oublié côté allemand après que fût brûlé Adolf par les SS à la porte du bunker de la chancellerie.
Cet attachement du philosophe aux faits de guerre est indépendant de son œuvre et de lui, puisque se cristallise – lire les Considérations inactuelles – tout au long de ses pages une horreur des conflits desquels il n’est pour s’en défendre selon lui, qu’une seule arme : l’intelligence.
Né « posthume » il se savait fait pour les générations futures, il n’avait pas prévu qu’il serait aussi une victime expiatoire de l’holocauste.
« Inquiétante est la vie humaine, et, de plus, toujours dénuée de sens : un bouffon peut lui devenir fatale. ». Il ne croyait pas si bien dire à propos du chancelier qu’il ne connut pas et dont il aurait désapprouvé l’idéologie.
Son œuvre possède la force destructrice des Eléates de Parménide, de Diogène le cynique, mais en même temps, une poussée inverse contrebalance l’édifice, maintenant le fléau en équilibre par le contrepoids du gai savoir.
Cioran aurait pu dire de lui ce qu’il écrivit de Diogène : « J’ai toujours pensé qu’il avait subi, dans sa jeunesse, quelque déconvenue amoureuse : on ne s’engage pas dans la voie du ricanement sans le concours d’une maladie vénérienne ou d’une boniche intraitable. »
Comme l’écrit Michel Onfray dans « La sagesse tragique » : « Avec le philosophe au marteau, l’Occident – pour ne pas dire la modernité – se trouve mis en pièce, sapé dans ses fondements. Vingt siècles, sinon plus, de mythes, d’erreurs, d’illusions sont éclairés par la lumière la plus nue. Une lumière de bloc opératoire où l’on dépècerait l’animal fourbu errant depuis plus de deux millénaires ».
Nietzsche n’a pas été maltraité partout. Les traductions en français de son œuvre sont impeccables. Il se dégage une réelle poésie de la transcription de l’allemand dans notre langue. Contemporain d’Arthur Rimbaud, il eut plus qu’une saison en enfer.
Quant à vous, peuples modernes, vous n’avez plus d’esclaves mais vous l’êtes.
Commentaires
NIETZSCHE était quelqu'un d'extraordinaire (voir l'excellente monographie de Stefan ZWEIG) qui a dit de SCHOPENHAUER qu'il avait été son "éducateur", avant de prendre ses distances avec lui.
SCHOPENHAUER était un réaliste, un pessimiste diront ses détracteurs, qui avait clairement vu les ressorts biologiques de la nature humaine et qui préconisait de voir de haut les désirs humains pour ce qu'ils sont, de manière crue et lucide et de s'en faire une raison tout en réservant à l'art une place privilégiée pour l'accès à notre "vraie nature". Il était assez proche de la vision bouddhique.
NIETZSCHE avait la même analyse de départ mais pensait que certains hommes (Zarathoustra) pouvaient, à la différence des "esclaves" que nous sommes pour la plupart, sortir de la glaise et réaliser leurs potentialités (l'expression de leur "Puissance") sans illusion religieuse ou autre.
Les deux attitudes sont compréhensibles. Pour ma part, j'ai une certaine préférence pour celle de SCHPENHAUER car j'ai un tempérament de sceptique mais je pense aussi que seuls des hommes d'exception feront progresser l'humanité (et certainement pas la démocratie que nous vivons et que NIETZSCHE aurait vomi de toutes ses tripes!).
Postée le: michel | février 21, 2007 01:51 PM