Cat-house et taylorisme.
On a dû rater quelque chose. Une signification qui nous aurait échappé. Toutes les civilisations étaient pourtant bien d’accord après Platon. Aristote, son maître, considérait le travail comme une activité par nature asservissante. Si les navettes des métiers à tisser marchaient toutes seules, disait-il bon prince, les maîtres n’auraient pas besoin d’esclaves.
Voilà qu’elles marchent presque toutes seules et que les maîtres en ont toujours besoin ! Comment ça se fait ?
Hannah Arendt a glosé sur la nature du travail selon les grecs. Personne ne s’est jamais demandé pourquoi, l’époque suivante, les serfs avaient remplacé les esclaves.
A cause de la tradition judéo-chrétienne pleine de présupposés beaucoup plus lourde que celle des grecs.
Au début, Adam se prélassait dans les loisirs, puis Eve lui apporta avec la pomme le péché originel que nous allions tous traîner comme un boulet, douze à quatorze heures par jour, pour aboutir autour des trente-cinq heures, non sans coups de gueule des américanolâtres.
Tout l’Occident a été marqué par l’idée religieuse de la culpabilité de l’homme.
"Au turbin, les artistes", c’est énervé Dieu !...
On a râlé. On râlerait encore si l’éthique protestante n’avait pas fichu tout par terre.
Les protestants ont réussi le tour de force de présenter le travail comme l’équivalent de la prière !
Tout le monde au boulot, y compris les riches ! Voilà le commandement moral dont la société de consommation s’est emparée malgré nos stress et la répugnance que tout homme normal à de travailler. La gauche et la droite bien d’accord nous sont tombé dessus…
Luther en s’opposant au pape a voulu que le travail fût le but suprême que Dieu voulut.
Max Weber situe l’origine du capitalisme dans la morale protestante.
Travailler et devenir riche pour faire plaisir à Dieu et hop, nos sociétés laïques n’en finissent plus de faire du protestantisme sans le savoir.
Il y a dans le regard de Di Rupo quand il parle du travail, des lueurs d’un Savonarole qui aurait pu être protestant, puisqu’il était fou.
Le tout c’est de définir le travail.
Peut-être qu’un chef de clinique à l’hôpital Erasme se trouve bien dans sa peau à travailler et qu’un bagagiste à Zaventem s’en trouvera indisposé. C’est qu’on ne parle pas de la même chose et que, pour les neuf dixièmes des gens « tout ça c’est de la merde », alors que pour le dixième restant, c’est le sens de la vie, la justification de leur statut….
Sans croire aux curés et avoir lu la bible, le bagagiste croit dur comme fer que travailler, c’est un châtiment divin. Il est sans le savoir en plein dans l’orthodoxie chrétienne.
Nous voilà bons avec les protestants dans un monde de plus en plus taylorisé, robotisé, parcellisé, décentralisé, bref le monde anglo-saxon dont nous apprenons tous les jours à nos dépens l’efficacité redoutable pour réduire à la misère des villes entières par le travail dont Dieu a dit du temps de la Ford T, que Henry Ford était le modèle de ses créatures.
Les Anglais, rockwellers fidèles des cousins d’Amérique, savent bien qu’ils sont mieux adaptés que nous au travail, déjà que la langue mondiale des affaires, c’est l’anglais.
Un exemple choisi au hasard parmi des centaines d’autres :
On croyait que les maisons closes étaient une spécialité française. Erreur, la libre entreprise, même là nous fait la leçon. Elles semblent avoir booster l’imagination anglaise, tant les vocables les concernant foisonnent dans le Shakespeare langage : les mots désignant les bordels y sont deux fois plus nombreux qu’en français, preuve d’une bonne tenue des entreprises et des travailleuses dans ce secteur sensible.
Voilà où nous péchons, notre manque d’entrain et notre peu de vocabulaire désignant les spécificités, révèle que nous n’aimons pas le travail, puisque nous ignorons l’outil désigné par des mots !...
En voulez-vous un exemple ? A côté de nos minables maisons closes, abbaye des s’offre-à-tous, claque et autre pince-fesse, ces travailleurs inimitables, en hors piste déclenchent des avalanches : brothel, house of lewdness, bum shop, slaugther house, beauty parlor, button-hole-factory, cake-shop, chamber of commerce, flesh-factory, girl shop, cauvaulting-school, ladies’college, school of venus, birdcage, cat-house, goat-house, heifer barn, monkey-house, pheasantry snake ranch. Et j’en passe...
Et rien que pour désigner les lieux et non la chose.
Avec nos minables magasins de fesses, comment pouvons-nous faire plaisir à Dieu, si nous ne faisons aucun effort dans le travail et que nous manquions à ce point des termes techniques désignant les outils ?
Arena a raison, l’anglais est plus riche que le latin, mieux adapté au travail que le français.
Et si afin de travailler ensemble Flamands et francophones, nous nous mettions à l’anglais ?
Encore un petit effort et en virant protestants, c’est toute l’Amérique qui s’offre à nous.
Voilà qui ferait plaisir à Tocqueville, l’idole de Reynders…
Nous deviendrions des travailleurs comblés. Il ne resterait plus qu’à supprimer toute allocation sociale, pension et indemnité, de sorte que nous serions tout à fait à égalité avec les Américains dans l’amour du travail, pour l’entrée dans une ère nouvelle quasiment mondiale...