L’homme promu.
Tête de rayon, en vitrine, exposition du soi, art de paraître, mais qu’est-ce qui fait courir les chefs ?
On ne sait pas à quoi tient la popularité. Si, plutôt, on le sait. Mais cela tient à si peu de choses qu’on se demande ce que l’on trouve à certaines personnes qui jouissent d’une grande popularité. Dutroux, par exemple, on sait. Il est très populaire dans le mauvais sens. Si on le libère un jour, il a intérêt à changer d’identité et à se faire de la chirurgie esthétique. Quoique, dans le sens opposé, des lettres d’amour d’ardentes admiratrices découragent les facteurs. Elles en veulent de l’athlète du crime, non pas parce qu’il est beau, intelligent et riche, mais parce que c’est un voyou qui est descendu tellement bas dans l’abject, que certaines en frétillent avec des douleurs dans le ventre et de véritables spasmes amoureux.
Un chanteur, par exemple. Qu’est-ce qui fait qu’un chanteur attire les foules et les bravos ? Quand on met ses pauvres rimes à plat, parfois même il n’en est pas l’auteur, on ne peut pas dire que cela soulève l’enthousiasme de l’Académie, et même du plouc moyen. La voix ? Certains en ont un petit filet, à tel point que le compositeur est tenu de ne pas trop secouer l’octave avec prière de laisser l’échelle des gammes dans la remise. La gueule ? Franchement, la petite gueule d’amour quand on voit les tronches des chanteurs qui ont du succès, certains même ont dépassé l’âge raisonnable pour tâter de la planche, on n’est pas sûr d’aller à l’autographe comme on montait à l’assaut en 14. La recherche dans le costard ? Quand on se rappelle comment Elvis était fringué ! Et pourtant, la minette frétille aux sorties des galas, comme les harengs du temps où la Mer du Nord nourrissait des escouades de pêcheurs, si le chanteur voulait, ses filets se gonfleraient d’éclairs d’argent.
Parce qu’on voit le petit monde médiatisé 24 heures sur 24, qu’on s’est habitué à leurs gueules au point de ne plus pouvoir s’en passer ? La télé miroir du monde ? Ruquier et ses roquets familiers, ses « bons » mots, son Stevie… franchement ! Ce ne serait que cela la notoriété ?
C’est possible après tout.
Et le batteur d’estrade, celui qui a la solution pour tout et qui parle politique un œil braqué sur les sondages et l’autre sur la foule ? Qu’est-ce qui fait qu’un homme politique est populaire ? Frédéric Ries, parce qu’on l’a vue femme tronc à RTL présenter les infos ? Sans doute. Mais les autres, ceux qui passent chez le coiffeur avant d’affronter le public sans qu’on les reconnaisse, qui lisent des textes avec plus ou moins de conviction qu’ils découvrent en même temps que nous, ou encore, celui qui joue au poivrot dans la foule du standard, qui claque des doigts et hop, comme Amin Dada du temps de sa souveraine et sanglante dictature, les crocodiles rappliquent et obéissant aux illustres phalanges, se laissent caresser l’écaille !
Que voilà un des traits du jury populaire qui sait reconnaître les siens aux bruits qu’ils font !
Même et surtout les islamistes farouchement intégristes sont sensibles à la notoriété. On n’insulte Allah qu’à partir d’une certaine reconnaissance des médias. Ils sélectionnent les ennemis de dieu, à l’audimat ou au tirage de publication.
Internet pullule de dessinateurs irrévérencieux, mais qu’ils se rassurent, ils ne sont pas connus. C’est tant mieux pour leur sécurité. Leur talent n’est pas en cause. Pour des raisons indéterminées, leur anonymat ne pourrait s’annuler que si leurs cadavres arrondissaient à la tranche supérieure, le décompte des morts à Bagdad un jour d’attentat. Ils n’intéressent donc personne par eux-mêmes. La non-célébrité peut être parfois bénéfique !
Reste qu’être dans l’ombre ou la lumière, en haut de l’échelle ou en bas, coté ou pas, passé pour original et commercialisé ou méconnu et invendable, révèle un des plus graves problèmes irrésolus de la démocratie, déjà posé du temps où parait-il, les Grecs choisissaient les maîtres de la Cité.
On le voit à chaque élection. Il est impossible de faire connaître aux électeurs tous ceux qui ont une vocation à les conduire vers un mieux, de façon égale. Parmi ceux que le hasard ou l’industrie met en bonne position pour la reconnaissance publique de leurs capacités, interfèrent des facteurs non-négligeables d’exposition à l’attention des foules, de publicité, de forces partisanes bénévoles ou rétribuées.
Il y a des dynasties de gens célèbres, mais même chez les fourmis, il n’y a qu’une pondeuse, une reine. Crever d’ambition et n’arriver à rien, n’est pas pire que monter sur le podium et s’apercevoir que toutes les ambitions satisfaites laissent un goût amer.
A la différence des oies sauvages qui se relaient dans leur migration pour tenir le cap, l’ambitieux tête de proue qui semble assurer de nous mener quelque part, en réalité se perd plus souvent qu’il n’y paraît, parce qu’à la différence des oies, l’homme n’a jamais bien su où il allait.