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Un postulant mal aimé.

-Monsieur Malparti, vous n’apparaissez pas dans l’émission de la RTBF sur le salaire de nos patrons, pourquoi ?
-C’est une question que je me pose, mademoiselle Grisemine Narts.
-Pourtant vous avez fait tout pour !
-Oui. Après de fortes études, à l’âge de douze ans diplôme en poche, je me suis enquis de qui pouvait acheter mes services.
-Et vous n’avez pas trouvé ?
-A quarante deux ans, je suis toujours à vendre.
-Ce n’est pas que vous ayez cherché !
-Je le pense bien. Quand le poste de patron de Belgacom a été libre, je me suis mis sur les rangs ; mais c’est Didier Bellens, avec 2,2 millions d'euros brut par an qui a été préféré. Pourtant, je serais descendu jusqu’à 1 million d’Euros, même moins, puisque je n’ai que 750 euros par mois au CPAS de Liège et encore, après tellement de démarches…
-Aviez-vous les qualités requises ?
-Je les ai toutes. Il me reste un beau costume que m’a légué une tante dont le mari avait la même stature que moi. Je suis absolument vénal et ouvert à toutes les propositions afin d’arrondir mes fins de mois. Les interviews et les caméras ne me gênent pas, comme vous pouvez le constater. Enfin, j’ai eu le premier prix de morale à l’école de la rue Fond du Bois de Bressoux dont j’aime faire profiter les autres, tout en n’étant pas idiot pour l’appliquer à moi-même. J’ajouterai en plus que si je porte à gauche, le jour où mes intérêts seront à droite, ma guiguitte suivra le même chemin.
-Vous manquiez peut-être de relations ?
-J’ai croisé un soir chaussée d’Ixelles, le vicomte Davignon qui fumait la pipe sur le trottoir, comme ça, simplement. Nous étions fort près l’un de l’autre, le trottoir était étroit…
-Vous vous connaissiez ?
-Non. Mais nous nous sommes regardés et j’ai vu de la méfiance dans son regard, comme si j’étais un adversaire. Il m’a cédé le haut du trottoir. Ça ne lui coûtait rien, puisqu’il en descendait pour monter dans sa voiture. Mais les riches parviennent à nous faire croire qu’ils sont humains et bien élevés quand cela les arrange à peu de frais.
-Il vous a glissé la pièce ?
-Les importants ne donnent jamais rien à personne. C’est bien connu. Ou alors, il faut que cela se sache dans des émissions caritatives de télévision.
-Vous avez d’autres relations ?
-Dans les couloirs du CPAS de Liège, j’ai sans doute approché sans le savoir des gens qui ont serré la main de l’abbé Pierre, été reçus par Maggy Yerna. J’ai vu Thierry Bodson de la FGTB comme je vous vois. Il m’a même parlé.
-Que vous a-t-il dit ?
-Il voulait savoir si j’étais en règle de cotisation.
-Pour les emplois de haut rang, avez-vous les compétences adéquates ?
-Est-ce qu’on me demande si j’ai des compétences quand le FOREm me convoque pour l’abattage des poulets chez Samir ben Soussian ?

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-C’est quand même une profession, abatteur ?
-Oui. Mais pas à 890 euros par mois. Un abatteur à Corleone se fait 10.000 euros minimum par abattage.
- C’est en Sicile et il n’abat pas la volaille.
-Et alors ? Un poulet à 890 ou un poulet à 10.000, il n’y a pas photo. Je vous dis, j’ai de l’ambition, mais personne n’en tient compte.
-Vous avez postulé chez Fortis banque.
-C’était au moment où la banque cherchait un nouveau patron. J’ai postulé. Ils m’ont envoyé une convocation pour être testé comme technicien de surface à 1007 euros brut, travail de nuit, alors que je visais la place de Jean-Paul Votron à 2,150 millions d’euros le nettoyage des coffres.
-Là aussi vous avez échoué !
-Complètement.
-C’est normal. Que connaissez-vous à la banque ?
-A Liège, nous sommes obligés d’avoir un compte chèque pour obtenir une somme dérisoire. Et dans mon cas, je vous assure, j’ai dû user de toute la diplomatie du monde pour en ouvrir un. Et je l’ai eu. Alors, qu’on ne vienne pas me les beurrer avec les qualités de Votron.
-C’est une sorte de fatalité ?
-Je suis le Cheribibi de l’emploi. Rien que des merdes, qu’on me présente. Jamais un emploi dans lequel je pourrais m’épanouir et montrer mes compétences.
-Qu’allez-vous faire ?
-Lire le blog Richard III et me foutre de leurs gueules.
-Dans votre cas, c’est malheureusement la seule chose que vous puissiez faire… C’était Grisemine Narts qui depuis le carrefour Avroy-Saint Gilles interviewait Monsieur Malparti, SDF.
-Encore un mot, si vous voyez Philippe Delusinne, patron de RTL qui dit "Je ne suis pas malheureux » quand on lui demande ce qu’il étouffe comme pognon par an pour se les gratter à côté du chauffage central, vous seriez aimable de lui demander une couverture pour dans une heure. Je compte dormir à côté de la Taverne Royale, dans l’encoignure de l’ancien commerce où de vieilles femmes se brûlaient les yeux à réparer et rentrayer. Je crois qu’il va faire caillant cette nuit.

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