La ligne de flottaison.
On amuse les gens, comme à l’ancien temps des bals musettes. On parle de progrès, de la qualité de la vie, de l’amélioration constante des conditions d’existence.
Pourtant, croirait-on vivre cent cinquante ans après Germinal, quand des gens dorment dans la rue, tandis que s’affichent les salaires des dix meilleurs « gagneurs » du pays ?
Et encore, on nous prévient, nos patrons ont du mérite. S’ils étaient américains, ils gagneraient beaucoup plus.
Il y a dans cette dichotomie une injure à l’intelligence des gens.
D’autant que, attention, les pauvres décideurs ont des responsabilités, un travail énorme, que nous ne sommes pas capables de comprendre, avec notre insouciance, notre perpétuel ricanement, nos besoins toujours en expansion, à tel point que dès qu’on nous demande un petit effort, comme travailler un peu plus et gagner un peu moins, on ne voit plus personne !
Mais qu’est-ce que c’est que ce beau tapage autour du progrès ?
Notre responsabilité est bien engagée. Si le produit intérieur brut ne progresse pas assez, c’est entièrement de notre faute. On travaille mieux et pour pas cher au Bangladesh.
Justement, parlons-en du Bangladesh.
On en est arrivé à nous faire entrer dans la tête que notre excessive consommation allait être bientôt la cause d’un grand désastre naturel. Notre immodestie réchauffe la planète. Il faudra trouver les moyens de consommer moins. Cela correspond très bien à la politique du gagner moins et travailler plus. Notre destin est bien clair : nous devons croire au progrès social, à la démocratie et au slogan selon lequel tout s’achète et tout se vend, pourvu que l’intermédiaire s’y retrouve, sauf que le travail en plus, c’est en principe des biens de consommation arrachés à la planète, disputés aux ressources naturelles, qu‘il faudra bien que les humains consomment.
Si ce n’est plus à nous que ce travail supplémentaire va profiter, c’est à qui alors ?
On ne sait pas. Personne ne sait rien. C’est une sorte de chape de plomb qui s’est abattue sur les « animateurs » des progrès. Ils auraient bien aimer nous expliquer les raisons qui les animent, un club sur une chaîne de télévision pour une vaste prise en charge des problèmes, les assises d‘une planète étranglée de nos grosses paluches d‘équarisseurs de forêts amazoniennes. C’est absurde, la fine combine qui concilierait production accrue et diminution de la consommation, apparemment nous sommes trop bêtes pour en saisir le mécanisme. Décidément trop actifs au musette, trop portés sur la modernité en matière de plaisir, nous ne pourrions apprécier l‘effort de tous les staffs « animateurs ». Nous décourageons les bonnes volontés !
Pourtant, on nous avait prévenu, nous dérangeons le cours naturel de la planète. L‘autre, avec son gros salaire ne dérangeait personne. Nous, plus vicieux, nous dérangeons tout le monde. Et ce n’est pas faute de ne pas nous avoir été semoncés. Déjà, il y a plus de cinquante ans, on n’en n’avait plus que pour vingt ans à peine. Un demi siècle plus tard, on en a quand même encore pour quinze ans. Quinze ans de paradis, comme du temps où Johnny Wesmuller transforma les studios de Hollywood en paradis tropical. On a économisé sur la date de l’imminence de la catastrophe ! Ce n’est pas mal, dans le fond.
De notre criminelle conduite, qui va pâtir en premier ?
Les pays pauvres, pardi !
Les marinas des côtes d’Afrique sont menacées. Les propriétaires des yachts qui y mouillent régulièrement sont consternés.
On aurait pu imaginer les dix plus gros salaires de Belgique prêter leurs embarcations de fortune à la misère du monde, d’autant que les pays pauvres sont ceux qu’ils préfèrent, attendu que les domestiques y sont pour rien.
Hélas ! C’est nous les criminels. Faudra jamais l’oublier.
L’Haut-lieu en est à ne plus savoir que dire. Que leur système soit la cause de tout, c’est ça qui serait tragique si cela devait revenir aux oreilles des besogneux.
Heureusement personne ne le leur dira.
On continuera de voter Sarkozy. C’est tout juste si le col du verre de bière prendra la dimension de celui de Lagerfeld.
Faudra supporter de bosser les pieds dans l’eau. C’est tout.
Mon arrière grande père l’avait bien jusqu’aux couilles, jadis, dans les corons.
C’est quand même un progrès, non ?