Une société d'honnêtes voleurs.
Fin 93, l'instruction du procès Cools met au jour les affaires Dassault et Agusta. Les deux firmes ont versé des pots de vin, au SP, au PS. L'ancien secrétaire général du PS, François Pirot est arrêté. Un autre homme influent au PS, Merry Hermanus, ancien secrétaire général de la Communauté française, le suit.
Janvier 1994, le vice-Premier ministre socialiste, Guy Coëme, qui était à la Défense nationale au moment des contrats Dassault, démissionne. On se souvient de sa conférence de presse juste après sa démission : livide, il lit un communiqué qui se termine par : «je reviendrai».
Février 97, de nouvelles révélations impliquent Moriau. Bien d’autres personnes sont alors citées qui ont été d’une façon ou d’une autre entendues par la Justice, sans qu’il n’y ait eu, pour certaines, des soupçons établissant des preuves de culpabilité. Il s’agit de Spitaels, Busquin, Mathot, Happart et quelques autres.
C’était il y a 14 ans.
En 2007 la tornade s’est abattue sur le PS à Charleroi. Beaucoup de membres du PS local sont inquiétés, quelques-uns connaîtront la prison.
Le rappel de ces faits sert de témoin à une constante pour ce qui concerne l’affaire de 93 – celle de 2007 est encore trop récente – tous les personnages impliqués de l’époque, même ceux qui ont été condamnés, ont été réélus ou se sont retirés volontairement de la vie politique, soit qu’ils ont été pensionnés, soit qu’ils ont été placés dans des emplois définitifs ou momentanés que l’on n’obtient qu’avec l’appui d’un parti.
Le propos n’est pas de refaire un procès, de soupçonner parmi les témoins ceux qui n’ont tenu qu’à un fil d’être inculpés. Il ne sert qu’à l’introduction d’une question qui nous concerne tous : « Pourquoi des hommes publics, des élus, condamnés pour corruption, abus de biens sociaux, concussions ou prévarications, sont-ils réélus triomphalement dès qu’ils sortent de leurs années de purgatoire ? ».
Le cas Jupé en France est significatif.
Ce n’est pas une règle, mais cela pourrait l’être : l’attitude des citoyens est plus compréhensive que critique à l’égard des politiques inquiétés sur leur gestion des affaires publiques par la justice.
Il faut dire que la Justice les y aide par la mansuétude dont elle fait preuve à l’égard de ces délinquants élus démocratiquement.
Où en est la tolérance zéro ? Est-elle seulement souhaitée pour les petits voyous des rues ?
Si certains citoyens souhaitent voir sévèrement condamnés les comportements délictueux des élus de la Nation, la plupart expriment à leur égard une réprobation compréhensive, mélangée d’indignation modérée et d’indulgence amusée.
La corruption n’est pas d’hier, dit-on généralement. C’est sa médiatisation qui gonfle son importance. C’est un comportement humain que les gens qui vivent avec mille euros par mois trouvent compréhensible. Dans une situation identique, il leur semble qu’ils agiraient de la même manière ! Les élus sont pris dans un engrenage qui leur donne l’illusion qu’ils sont au-dessus des Lois, qu’ils peuvent s’approprier des sommes qui ne les enrichissent qu’indirectement puisqu’elles servent de prime abord à financer les réalisations des partis. Ils ne bénéficient de leurs exactions qu’indirectement, grâce à la notoriété interne qu’ils acquièrent à l’aide de l’argent qu’ils distribuent.
A vrai dire, une partie importante de l’opinion, se lasse vite des procès de corruption que les médias amplifient pour faire de l’audience. Après la complaisance à étaler la noirceur des prévenus, la suspicion attachée aux témoignages, à la présomption d’innocence, le procès terminé, les prévenus sont relâchés ou condamnés à des peines de principe, les crimes deviennent des erreurs ou des délits minimes.
Le public est furieux et au lieu de relativiser, penche pour le « tous pourris » et passe à autre chose, d’autant qu’un voleur de voitures du quartier prend cinq ans vite fait, alors que ceux qui étouffent des millions s’en tirent avec les honneurs !
Cette tolérance, mi-réfléchie, mi-indifférente, appelle l’expertise rapide d’un état des lieux en Belgique et partout ailleurs en Europe.
Certains acceptent-ils - sans l’oser pouvoir affirmer - qu’il est normal que les élus mènent une existence tout à fait différente des citoyens et que l’égalité – certes qui n’existe pas – mais vers laquelle on devrait tendre, n’est qu’une farce ?
Autrement dit, accepte-t-on que nos élus et nos hauts fonctionnaires égalent en richesse et train de vie, l'existence de ceux qui se sont enrichis grâce au travail des autres ?
A-t-on la nostalgie de l’Ancien Régime au point d’accueillir comme la marque d’une déférente marque d’estime pour le passé, la dilapidation somptuaire, l’état de richesse d’une famille essentiellement centrée sur les cumuls tirés des revenus parlementaires et adjacents ?
Enfin, le fait de braver le légal est-il considéré comme une démarche utile, voire un sport, plutôt qu’une entrée dans l’illégalité et le délit ?
Il y a des sagas familiales, des bourgmestres de père en fils, des passations de pouvoir à caractère de privilèges qui le laisseraient penser.
Sommes-nous bien en démocratie en défendant ce régime-là ?