L’enfant et les fripouilles.
Qui ne se souvient, tiré de « Salammbô » de Flaubert, l’incipit fameux « C'était à Megara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. »?
Aujourd’hui Carthage, au nord-est de Tunis, est une banlieue huppée où se les roulent tous les pachas du régime de ben Ali, le dictateur en titre, célèbre parce qu’il déposa son prédécesseur Bourguiba.
Carthage, du temps de sa splendeur, avait une spécialité qui fait hurler d’horreur nos contemporains : le sacrifice d’enfants !
De nombreuses cultures antiques pratiquaient les sacrifices humains.
Les temps modernes ne sont pas en reste.
Sans parler des mœurs sous d’autres cieux, encore au siècle dernier, nos sacrificateurs ne le font plus pour réclamer l’indulgence des dieux, ils ne faisaient descendre dans les puits de mine des enfants de moins de dix ans que pour des raisons pratiques et économiques. L’hécatombe fut énorme, les séquelles terribles, mais la société industrielle qui naît trouve indulgence et compréhension auprès de la racaille bien pensante dont les descendants, actifs industriels ou heureux planqués d’aujourd’hui n’ont jamais présenté des excuses à la nation suite aux forfaits de leurs grands-parents.
Des œuvres magnifiques, en 2007, volent à la recherche d’enfants perdus, d’enfants violés, d’enfants assassinés. C’est la suite logique d’une indignation ressentie par l’ensemble de la population après l’affaire Dutroux. Nous avons atteint une belle conscience de ce qu’un enfant représente de valeur d’avenir à préserver. Les moustaches d’un Lelièvre se promènent partout dans l’audiovisuel pour nous en faire ressouvenir à l’occasion. Les pédophiles sont comptés parmi les criminels les plus vivement honnis de la population, au point que Dutroux, s’il sort un jour de tôle, aurait intérêt à changer d’identité.
Parfait. Voilà une belle reconnaissance nationale de l’âge tendre.
Oui. Mais quand n’est-on plus un enfant ?
D’abord, à quel âge bascule-t-on dans le monde adulte ?
Ce n’est pas une question en l’air, quand on voit comment au stade suivant de la vie, la société traite ses « anciens » enfants, on peut dire que c’est la douche froide.
Les Lelièvre emplis d’amour et de compréhension font place à des « éducateurs » et à des « psychologues », pour certains mômes, qui ont grandi trop vite sans doute. Ainsi finit l’enfance dans des milieux ouverts ou pire dans des milieux fermés d’éducation forcée.
Pas tous, évidemment. Ici, il ne s’agit que des plus malchanceux, des plus impréparés, des plus durs ou des plus tendres
Les distraits, les poètes ou les trop pauvres, incapables de suivre des études supérieures pour différentes raisons, sont vomis par les libéraux, au mieux suspectés de parasitisme social par les socialistes, quand ils ne se condamnent pas pour de longues années à se mettre volontairement les bras jusqu’au coude dans l’huile des machines sous les plaisanteries des plus âgés que le travail à complètement abruti.
Ceux qui font des études, au pire deviennent avocats pour arriver plus vite en politique, n’ont pas un meilleur sort. La nécessité s’ils veulent préserver leur statut les condamne à faire comme ceux qui ont accédé aux places avant eux, c’est-à-dire reprendre au diapason commun la morale douteuse qui fait tenir debout les médiocres, les sans-cœur et les immoralistes moralisateurs. C’est un dur métier qu’être libéral et vanter les mérites de ce qui en manque le plus : le système économique qui tient braderie des sentiments et des vertus.
Voilà le sort que nous réservons à nos petits chéris !
Ceux qui s’inscrivent en faux contre cette mascarade sont immédiatement pénalisés. Ils font partie de cette frange de philosophes, originaux tolérés, mais suspects, à moins qu’ils ne sombrent dans la marginalité, ce qui fait dire aux biens pensants qu’ils avaient « le vice » en eux !
Nous élevons, nous bichonnons, nous chérissons nos chers petits pour mieux les précipiter dans la déchéance !
Nous ne préservons l’innocence que pour mieux la détruire. Nous ne nous différencions des monstres qui abusent des enfants que parce que nous attendons quelques années de plus pour les meurtrir et les pervertir collectivement en les plongeant dans notre système à faire du fric sans crier gare !
Interrogez les adolescents de leurs premières journées de travail sur des chantiers, des ateliers, voire des bureaux, pour voir leur complet anéantissement, leur effarement devant ce que nous osons encore appeler un travail honorable !
Suivez-les dans les files d’inscription au sortir de l’école, dans des bureaux d’intérim aux attentes interminables et répondant à des fonctionnaires archiblindés contre la détresse humaine.
Et dites-vous bien que vous n’aimez pas plus vos enfants que les enfants des autres et que « les honnêtes gens » sont en réalité des fripouilles et que la terre en est pleine.