A propos d’un poème…
Mais quelle est donc la force d’attraction que Verlaine exerce sur moi ?
Menteur, tricheur, pleutre, débauché, inverti, ivrogne, cet homme est ce qu’on pourrait appeler un voyou plutôt qu’un marginal social. Dans ses crises de boisson, il tente plusieurs fois de tuer sa mère, sa femme Mathilde qu’il aime tant et dont le souvenir après son divorce le poursuivra toute sa vie, il tire sur Rimbaud son mauvais ange – mais pouvait-il y en avoir un bon ? - et encore, après le départ d’Arthur, il s’éprend de Lucien Létinois. Lorsque le jeune homme devenu artilleur « fait son temps » à Reims, Verlaine le suit et prend un poste d’enseignant dans la région. Et ainsi de suite, jusqu’à la fin des plus misérables, 39 rue Descartes, dans les bras d’Eugénie Krantz, une lorette.
La vie de cet homme peu recommandable n’est éclairée par rien, hormis sa poésie, même pas par un souffle révolutionnaire lui qui pourtant dans les graves évènements qui secouent Paris en Mai 1871, ne quittera pas son poste à la Mairie, ce qui lui vaudra sa révocation de l’Administration par Thiers.
Et pourtant dans cet effondrement général, jusqu’au collapsus final, parmi les abjections, il y a le sensible des sentiments délicats, les beautés métaphysiques du mystère de l’âme, les élans d’amour et de tendresse, la sublimation du mystique, tout enfin qui fait d’un misérable un être d’exception.
Mallarmé a su en un mot résumer dans son éloge funèbre la gêne ressentie devant un tel dérèglement, parce qu’on aime le poète, et qu’il faut encaisser l’homme.
Sauf exception, aujourd’hui encore on associe l’Art à la vertu. Les milieux officiels dispensateurs du nécessaire mécénat y sont pour beaucoup.
La pitoyable vie de Verlaine n’est un exemple pour personne ; mais elle n’a que faire d’un verdict. Un psy pourrait y trouver son miel par l’évidente faiblesse de volonté du poète et le refus de tout engagement et action, dans le droit fil du premier Parnasse, un courant dont il ne reste que quelques recueils dont ceux du Prince des Poètes qui nous interpellent et nous émeuvent encore profondément.
Ce faible a une nature féminine déterminante, avec de brusques regains de cruauté. Sous l’effet de l’alcool, il est traversé de rages qui le poussent à tuer. Il a besoin de faire souffrir. C’est par chance qu’il n’a tué personne au cours de son existence chaotique. Cet homme, en un mot est dangereux. Les dernières années de sa vie sont parsemées de séjours à l’hôpital, tant pour soigner le corps que l’esprit.
Comme Rimbaud Verlaine est un homme du Nord, Wallon d’origine, terres d’Ardenne et de Gaume, pays de Charleroi, il a tout arpenté. Il vint même faire une conférence à Liège. Mais, je n’en ai retrouvé nul écho.
Erudit, il n’a pas l’afféterie de Baudelaire, le ton précieux. Il sacrifie cependant au temps, avec l’usage de mots savants, des noms de lieux copiés des atlas de géographie dans la tradition des grands voyageurs, lui qui ne connut que quelques pays d’Europe.
Sartre dans « Les mots (p.128) » écrit, par un étrange détour en mettant en scène son grand-père, ce que d’aucuns pensent généralement : « Mon grand-père appréciait Verlaine dont il possédait un choix de poème. Mais, il croyait l’avoir vu en 1894 entrer « saoul comme un cochon » dans un mastroquet de la rue Saint-Jacques : cette rencontre l’avait ancré dans le mépris des écrivains professionnels., thaumaturges dérisoires qui demandent un louis d’or pour faire voir la lune et finissent, pour cent sous, par montrer leur derrière. »
Dans les poèmes Saturniens, le deuxième sonnet de Mélancholia fait partie de mes relectures. Avec plusieurs dizaines d’autres, je pourrais le citer de mémoire. Je l’ai découvert assez jeune, vers les seize ans. Nevermore est un titre emprunté au poème d’Edgar Poe « Le corbeau ». Les rimes du poème sont irrégulières dans les quatrains. Les vers 11 et 13 donnent du sens à l’ensemble. L’obsession du souvenir nous traverse souvent l’esprit, d’autant aiguë que nous connaissons tous l’impossible rétroversion des êtres et des choses. Des grammairiens se sont penchés sur ce sonnet. Certains ont été jusqu’à dire que « Atone » était ici un néologisme et que les verbes étaient parfois mal conjugués.
Reste l’essentiel, ce que l’âme sensible cherche et découvre : un cœur qui bat avec comme l’illusion qu’il n’est fait que pour l’autre.
Souvenir, souvenir, que me veux-tu , L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détonne.
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent,
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
« Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d’or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
-Ah ! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
Parfois, je me dis « Suis-je bête » d’aimer ça !... Et je crains de tomber dans la sensiblerie, comme certaine pécore qui n’adore rien tant que célébrer « Pierrot sous la lune ».
Oh ! Alice qui fit le choix de ne rien voir de la perversité de Lewis Carroll. Ah !... ne verser que des larmes de bonheur, comme si le monde n’était pas désenchanté !
Commentaires
Votre texte sur Verlaine est aussi bien écrit que profondément senti. Vous dégagez l'essentiel : on ne s'explique pas comment un être aussi indigne a pu écrire des vers insurpassables. Sans Verlaine, quel visage aurait la poésie française ?
Postée le: COUTURE Thierry | avril 13, 2008 11:29 AM