Adieu et à bientôt…
-C’est un grand qui s’en va !
-Il n’est pas encore parti…
-Il est en instance… on sent le poids des valises quand les épaules s’arrondissent.
-On peut dire qu’il l’aime, lui, la Belgique !...
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
-Le regard qu’il a, quand il s’adresse à nous. Il est humain.
-Ah ! je l’avais jamais vu. Quand on est Premier ministre, c‘est le moins.
-Et puis ce qu’il laisse derrière…
-Les Wallons en larmes sur le quai…
-Il s’est bien démerdé pour nous.
-C’est le moins. Faudrait quand même pas qu’il parte avec le patrimoine, les tableaux, les cendriers…
-Je parle de ce qu’il laisse…
-Moi aussi.
-…du redressement, de la dette, de ce qui fait la fierté du peuple.
-La fierté du peuple, c’est de bouffer à midi et de pas avoir un travail trop chiant. Le redressement, voilà depuis soixante ans qu’on s’essaie. Les Belges ont une bite à la place de la colonne vertébrale, ça tient droit dix minutes, pas plus.
- Quand un Premier comme ça se retire, y a pas de suivant. C’est l’époque qui change.
-L’époque ? Peut-être qu’on aura plus d’époque du tout, qu’elle sera la dernière.
-C’est dommage qu’on parle déjà plus de lui.
-Pourquoi veux-tu qu’on en parle ? A part toucher aux fins de mois et s’envoyer en missions fines dans des hôtels à l’étranger, Leterme sait faire ça aussi.
-Il nous emmerdait pas trop avec Hal - Vilvoorde… tandis que l’autre…
-Il a passé son temps à repousser les échéances. C’est facile faire des commissions pour tout. Moi quand je fais les courses et que j’oublie le sel, Lily m’engueule !...
-Tu l’aimes pas. Est-ce que tu aimes quelqu’un ? Et la Belgique ? Tu l’aimes la Belgique ? Je te demande pas de l’aimer comme Adamo, mais, par exemple comme les frères Taloche ?
-Comment ils aiment la Belgique, les frères Taloches, tu peux me dire ?
-Ils l’aiment moins qu’Adamo.
-D’où tu le sais ?
-Faut voir les yeux d’Adamo qui brillent, comme ceux du Premier, quand il parle de la Belgique, pareil… On croirait qu’il louche…
-Ils ont peut-être le même collyre ?
-Et son sacrifice, qu’est-ce que tu dis de son sacrifice ?
-D’Adamo ?
-Non, du Premier. Qu’il reste aux affaires courantes, alors qu’il pourrait nous dire d’aller nous faire foutre ? Et tous ses ministres, l’équipe au grand complet, au poste ! C’est pas de la ferveur, ça ?
-C’est surtout qu’ils peuvent pas faire autrement. Ils sont comme les Indiens. Ils effacent les traces derrière eux pour pas qu’on les reconnaisse, que l’autre qui va venir leur attribue ses gourances…
-Ça ne se gourre pas un Premier, monsieur, ça exécute.
-Pour être exécutés, on l’a été et pas qu’une fois. Pendant qu’il agite son petit drapelet, le Premier, t’as l’étiquette des prix qu’affiche aussi ses couleurs, celles de la honte. Bientôt ce sera plus du pain dur qu’on bouffera, mais de la merde.
-C’est quand même moins dur, non, la merde ?
-Il part. Bon débarras. Le malheur, c’est que ces gens là partent avec l’idée de revenir. C’est comme l’attagène des tapis, on croit en être quitte, il rapplique la saison suivante, pour bouffer ton persan….
-T’es pas patriote comme eux !
-Un patriote ne court pas chez le notaire pour faire valoir ses droits. Un patriote n’aime personne, s’il n’aime pas tout le monde. Or, comme l’amour d’un patriote se limite à sa patrie, il n’aime personne, finalement.
-Alors, t’iras pas à la cérémonie des adieux ?
-L’Etat pour eux, c’est un self-service spécial. T’es pas invité, sauf pour passer les plats. Est-ce qu’on invite les larbins ? Non, monsieur. Quand tu vas chez Mittal, est-ce que tu bouffes avec le patron ? Chacun à sa place, et les vaches seront bien gardées, d’autant qu’il n’y a que toi pour les garder. Et puis, tu sais, la cérémonie des adieux, après 136 jours de cris et de chuchotements des suivants probables, on l’aura pas de sitôt, la cérémonie !…