Apologie de la bêtise.
Didier Super, dessinateur, justifie ses albums par un aphorisme «Mieux vaut en rire que s’en foutre ». En effet, il n’y a pas pire que l’indifférence pour que ça continue ou il n’y a pas mieux que l’indifférence pour que ça continue, selon que l’on soit placé à l’amphi du théâtre social ou aux premières loges.
Aujourd’hui, s’il y a beaucoup de choses que l’on puisse transgresser, il n’y en a plus guère qui soient perçues.
Aussi la bêtise peut être à la fois l’inconvénient des natures rudimentaires ou le refuge des natures riches.
Devant la rationalisation des comportements à la suite des pressions économiques et des discours politiques adaptés, la bêtise peut se révéler un moyen efficace de résistance et de non-conformisme.
Dès lors, on peut trouver du piment dans les choses les plus graves et les plus solennelles.
Déjà, la solennité en elle-même n’est-elle pas une forme de bêtise ?
La femme « la plus dangereuse des USA », Avital Ronell, voit dans le christianisme la scénographie la plus élaborée de la bêtise occidentale ; parce que fondé sur la crédulité qui est une forme intransigeante de non accès à la sagesse et aux sciences temporelles.
Avital, la black lady, a écrit là-dessus un livre « Stupidity » traduit chez Stock, recommandé à tous.
La connaissance de sa propre stupidité dans l’approche cartésienne, c’est-à-dire ce que nous pouvons savoir de nous-mêmes, se résume aux choses générales « des yeux, une tête, des mains et autres semblables ». Elle nous place exactement de la même manière et sur le même plan que n’importe quel démiurge occidental. Mieux même, pourrait-on dire que le phénix, parce que si nous reconnaissons notre bêtise, lui n’en sait rien quant à la sienne !... qu’il ne découvrira peut-être que bien plus tard, sinon jamais. Ce qui devrait le placer en état d’infériorité constante par rapport à nous.
« L’Art de dire des conneries » (bull shit) de Harry G. Frankfurt reste une sorte de te deum de la bêtise maîtrisée « Le baratin contrefait les choses, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont erronées. »
Les conneries heureusement ne sont pas toujours proférées par des prétentieux. Ce serait trop simple. La liste est non exhaustive de l’omniprésence de ces maux dans une société qui érige le blabla en religion.
Michel Adam en connaît un bout de la bêtise baratinante dans son essai, dont j’ai déjà entretenu l’aimable lecteur, mon complice, mon frère, pour revenir sur ses propos.
Tout cela est vrai et concret. La superficie traitée est immense et la pyramide qui s’élève au centre est gigantesque ; c’est de celle-là que Renan découvrait l’infini de la bêtise. Mais, grimper tellement haut dérive d’un exercice dangereux. Le site est périlleux et déjà s’élevant, nous ne montrons plus aux gens du sol et selon Balzac, que nos parties honteuses !
La chute est toujours possible et imminente, nous pouvons glisser vers le discours pompeux et convaincu. Par exemple, la conviction affichée de la Loi dans les lieux public est souvent d’une infinie bêtise. Il n’y a pas plus drôle que lire passablement éméché dans un troquet, la loi de la répression de l’ivresse qui se trouvait jadis à la bonne hauteur des poivrots, c’est-à-dire à ras le comptoir.
Avital Ronell admet que « la philosophie a généralement évité, pour se protéger elle-même, de s’avancer trop loin en direction de la bêtise ». Si la métaphysique ne le fait pas, le métaphysicien par contre s’y précipite et, pour fréquenter un café philosophique, je peux dire par expérience personnelle que le sérieux qui s’y déploie dans un consensus homogène et général est déjà une belle incursion dans la bêtise.
Le Président de Groland le déclare : « En étant à la fois stupide et profond, le con démontre qu’il est intelligent. »
A force de faire la bête en devient ange, dirait Pascal.
Toujours est-il que l’arme de la bêtise maniée par un con intelligent est une arme redoutable, la seule qui existe encore qui soit mortelle sans pour autant tuer.