Le complexe de l’escargot.
-Pourquoi tu fais la tête ?
-Moi, je fais pas la tête !
-Qu’est-ce que tu fais alors ?
-Mais rien. Où tu vois que je fais la tête ?
-Je te connais, va…Roger…
-Tu me connais ! Et tu dis que je fais la tête quand je ne fais pas la tête ?
-Bon. C’est entendu. Tu ne fais pas la tête. Qu’as-tu alors ?
-Comment ça, ce que j’ai ?
-Depuis que nous sommes en voiture, tu ne m’as pas dit un mot.
-Que veux-tu que je te dise, Pompon ?
-…que la soirée était réussie, que tu t’es bien diverti… enfin tout ce que tu me dis d’habitude quand tu ne tires pas la tête.
-Tu tiens absolument à ce que je tire la tête ?
-Je n’y tiens pas, je le vois…
-Donc, je dois trouver quelque chose à te dire à propos de la tête que je suis supposé tirer ?
-Ah ! mais ne le prends pas comme ça, hein ! Tu t’énerves, tu t’énerves et puis on va encore se dire… Roger…
-Quoi Pompon ?
-Tu le sais bien.
-Non !
-A propos de Pierre !
-Ah non ! tu ne vas pas croire que je fais la tête à propos du gros ? C’était il y a, ouf…
-Quinze ans et trois jours ce 22 mars…
-Tu comptes les jours, parole, tu as un calendrier à la place du cœur… les dates historiques… celles qui comptent, parole…
-Tu viens de dire deux fois parole.
-Et si ça me plaît de le dire cent fois parole, parole, parole…
-Reprends du souffle…
-Voilà, tu as gagné ? Je n’y pensais plus du tout à ce gros con. Eh bien ! chapeau. Maintenant je fais la tête et tu sais pourquoi…
-Ce n’est pas vrai tu y pensais en revenant et je vais te dire pourquoi…
-Tu lis dans mes pensées. C’est fort quand même. Je ne savais pas que j’y pensais et voilà que c’est toi qui me fais penser d’y penser… C’est à devenir fou. Et en plus tu vas me dire pourquoi !
-Oui, c’est quand nous sommes passés devant l’agence.
-Quelle agence ?
-L’agence, quoi… tu sais bien, celle où il était convoyeur poids lourd…
-Ah ! oui… l’Intrépide… les voyages l’Intrépide…Pompon et Pierre… je l’avais complètement oublié. Tu étais gay bien avant moi…
-Ils ont fait faillite il y a douze ans…
-Tu vois, je n’en savais rien et à vrai dire, je m’en fous…
-Tu t’en fous ?
-Oui, du gros, de l’agence, et de tes quinze ans et trois jours de commémo. Oui, je m’en fous. Mais tu fais bien de me rappeler tout ça. Puisque tu as vu que je faisais la tête. Oui, je la faisais et tu sais pourquoi ?
-Non, et tu vas me le dire !
-Ah ! bon tu ne sais pas pourquoi ?
-Enfin, je croyais que c’était le souvenir qui te remontait en passant devant l’agence fermée.
-C’est plutôt tes souvenirs qui te remontent, ma vieille…
-Ne m’appelle pas ma vieille…
-Je t’appelle comme ça me plaît.
-Et si je te disais que oui, ce sont mes souvenirs et que je n’ai plus que ça pour tenir le coup avec toi. La vie que j’ai, minable, sans rien, aucun réconfort. Pas une main secourable !
-On les connait, toi les main secourables, y a qu’au cul que tu les reconnais.
-Grossier !
-Messalin !
-Quand est-ce qu’on est parti en vacances ?
-Les vacances, parlons-en. Partir avec quelqu’un sur lequel on peut plus se fier, tu m’as bien regardé, roulure !...
-Sale con !...
-On serait à peine installé Benidorm que tu pourrais pas te retenir, le garçon d’étage, le gros schleu qui pète de santé, même le gay qu’attend à la pharmacie pour sa trithérapie, tu sautes sur tout ce qui bouge, hein, salope ?
-Voyou !...
-Non, arrête la voiture. J’en peux plus. Je descends…
-Tu vas le voir, hein, crapule ?
-Tu parles si je vais le voir. J’y cours. Comment voilà un homme que tu as tellement dégoûté d’en être un, qu’il s’est fait enlevé toute la boutique, qu’a changé de sexe pour plus que tu l’agresses et avec lequel je m’entends mieux depuis qu’il est devenu une femme et que tu oses insulter.
-Depuis que Pierrot s’appelle Pierrette, tu nous trahis. Tu n’es plus gay ! Tu as changé de camp…
-Il y a quinze ans et des broutilles, c’était un gros con. Aujourd’hui, c’est une mince jeune femme…
-Il a quand même 48 ans.
-Et alors, tu n’en as que 43 et tu en parais…