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Les neiges d’antan…

Avant, on savait dire les choses… et pas que des politesses, pipi de chat les « après-vous, je n’en ferai rien ». C’était bon pour les notaires, chez eux, au remord de tromper leur femme, et les garçons de café, quand on leur donne un bon pourboire.
La politesse avait quelque chose de supplémentaire : l’esprit !
Celle du prince de Conti « Allons, il est temps que je me retire ; autrefois mes simples politesses étaient prises pour des déclarations ; à présent, mes déclarations ne sont plus prises que pour des politesses ».
Cela ne se comprend plus de nos jours, même sous la simple forme polie de l’art de dire.
Hélas ! la vulgarité est dans tout.
On ne sait même plus avoir le sens du commerce dans la conversation ! Pas celui de l’épicier, mais celui de Talleyrand « Il y a trois sortes de savoir : le savoir proprement dit, le savoir-vivre et le savoir-faire ; des deux derniers dispensent généralement du premier ».
Jadis même l’imbécile passait pour intelligent. Aujourd’hui, l’intelligent passe pour un imbécile.
On ne sait plus dire. Les mots se sont perdus.
Les séances de rappel de nos réminiscences accusent des déficits. Le Huron de Voltaire serait bien inspiré d’aller voir la misère dans la rue, avant d’ouïr les débats philosophiques d’un café philo. A croire qu’il ne se passe rien et que quoique insipides, les temps sont désignés par l’inculture comme merveilleux.
Où sont les commentaires, les grands récits, le déferlement des idées, les prolégomènes de l’aventure sociale, les philosophes musclés ?
Le mot d’ordre est simple : soyons neutres ! C’est un bruit de couloir qui débouche dans les grandes salles, s’enfle : soyons neutres. C’est-à-dire restons ternes, puisque c’est la seule manière de gagner sa vie à l’ère libérale !
Jouons les imbéciles : ne nous faisons pas remarquer !
Que ferait Flaubert en conversation au café du Commerce « De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute. Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité ou rien, c’est la même chose » ?
On le prierait d’aller ailleurs jouer sa partie de Jacquet.
Un beau sujet pour les jeudis soirs de nos actes manqués, de la part de Montesquieu « Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non à leur mort »… Ce que c’est que ce siècle ! Une phrase n’est qu’un gant de chevreau pour un bel esprit, dit au « Soir des rois » le grand Will. Il serait surpris de voir ce de quoi nous nous gantons !
C’est gagné ! « Le monde est devenu sans mystère » dit Berthelot… mais c’est à force de les ignorer.

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C’est aussi la bassesse des buts poursuivis en politique. Depuis Saint-Simon « Les scélérats du premier ordre se sentent de loin homogènes jusqu’à un certain point, se connaissent, se lient jusqu’à ce qu’à la fin le plus adroit étrangle l’autre », il n’y aurait rien de changé dans la réalité moderne, si les hommes pouvaient prêter attention aux « Mémoires » de Louis de Rouvroy. Mais, ils ne le peuvent pas. Les siècles passés loin d’éclairer leurs pensées, se sont éteints dans les mémoires faute de mèches. C’est ainsi qu’ils vivent accablés d’un mal qu’ils répugnent à désigner, le défaut du sens critique appelle l’ignorance.
C’est comme si nous n’étions les héritiers de Diderot et d’Alembert que par les côtés de l’encyclopédie qui traitent de la productivité !
L’homme ne peut prédire le futur, mais il peut l’inventer.
Notre esprit inventif s’est borné à chercher nos solutions dans un autre hypothétique.
Accablés par le capitalisme nous en voilà les laudateurs.
Nous ne sommes plus certains de mourir un jour, puisque la mort est réduite à un événement pseudo-culturel absurde, s’oppose à la rentabilité et offense les visées rationalistes. La mort est incongrue dans une société braquée sur l’efficacité et le progrès (L.V. Thomas).
Aristote, Descartes et Auguste Comte nous ont enclos dans une spire infernale dont on n’entrevoit pas l’échappatoire tant nous sommes conditionnés à poursuivre, bernés par l’illusion de maîtriser la mort en maîtrisant le monde.
Comme a écrit Ronsard quand ne se dressait plus que son porte-plume :
Ma douce jouvence est passée,
Ma première force est cassée,
J’ay la dent noire et le chef blanc,
Mes nerfs sont dissous, et mes veines
Tant j’ay le corps froid, ne sont pleines
Que d’une eau rousse au lieu de sang.
Brel chantait la même chose : « j’me rentre chez moi, l’cœur en déroute et la bite sous l’bras ».

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