Complexe et décomplexe…
Emile Ajar (Romain Gary) le dit « Les pythons tombent dans la catégorie des mal aimés ». C’est incontestable. Les gens qui sont aimés par tout le monde, peuvent aussi ne se sentir aimés par personne. Marilyn est morte en solitaire, alors que beaucoup de types seraient morts de joie en lui tenant cinq secondes le bas de la robe.
On a déjà vu des géants qui respirent la force se sentir tout petits devant un nain. La force ce n’est pas tant d’avoir des muscles, que d’avoir du caractère. Or, avoir du caractère, ce n’est pas donné à tout le monde. Même les banquiers manquent parfois de caractère. Ils craquent pour une légère blessure en se rasant, ou s’effondrent devant une bonne intransigeante.
Les prêtres doivent se sentir bien mal aimés, en tout cas moins aimés que Celui pour lesquels on vient les voir. Ils sont là, bien en chair, certains fort présentables, pourtant tout de suite l’ouaille tourne les yeux vers le christ pendu sur le trumeau de la cheminée !
On tient pour rien qu’ils se soient sacrifiés pour l’Autre. A peine les a-t-on distingués en tant qu’hommes. Etonnons-nous après cela qu’ils se ruent sur la servante d’un certain âge.
C’est une concurrence déloyale, puisque l’Autre, on ne le voit pratiquement jamais ! Il se laisse deviner et c’est suffisant ! C’est un comble pour un curé encore jeune et sensible aux regards enveloppants des pécheresses, qui fait tout ce qu’il peut pour se faire remarquer. Ah ! on ne le prierait pas deux fois…
Ces braves curés voudraient dire à ces distraites, que Dieu ne comble pas en ce bas monde. Et en attendant de l’être dans l’autre, il n’y a rien de plus naturel qu’un besoin satisfait.
Quoi de plus obstiné qu’une croyante pour sa croyance !...
La bêtise n’est-elle pas de la sentimentalité faite de superstition et de fanatisme ? Auquel cas, elle serait du côté de la foi et de la ferveur religieuse. Voyez comme le sacerdoce tourne court en politique. Pourquoi pas en religion aussi ?
Plus le sujet de croire est mince, plus il est fort.
Ailleurs, plus le sujet est gros, moins il est pris au sérieux, suscitant parfois des drames épouvantables d’incompréhension.
Les hommes qui s’égaillent sans amour, ne peuvent que s’aimer.
Ce sont ceux qui reçoivent le plus d’amour des autres qui s’aiment le plus, affolant d’autant celles et ceux qui les aiment, puisqu’ils et elles passeront toujours en second.
Le ridicule serait de s’étreindre soi-même, en attendant que quelqu’un d’autre veuille bien se pencher sur la question.
Mais non. Les plus sollicités qui ne savent où donner de la tête et du reste, ne peuvent satisfaire à la demande d’étreintes !
Quand on observe bien le va et vient des sentiments et des personnes, s’acquiert la conviction qu’un détail cloche sur chaque mal aimé : là, une moustache trop tombante, ici un malaise lié au regard… alors que le sollicité, c’est le contraire, il a toujours quelque chose en trop : une silhouette longiligne, une profusion de gestes, un amour immodéré de soi.
L’observatrice des manques et des pléthores ne voit qu’une chose : la rareté. Celui qui plaît est trop rapidement circonvenu par des rivales. C’est comme un appartement à loué dans un lieu convoité par beaucoup. Il faut dire oui tout de suite.
Côté pile, celui des manques, pour convoiter il faudrait qu’il soit achalandé de belles passantes. Or, il n’y a personne. C’est souvent par la déception de n’avoir pas su saisir la chance à temps là où il y a pléthore, qu’une ou l’autre attardée se résigne à prendre côté pile un type dont elle voit instantanément les défauts. Ensuite, c’est une question d’habitude. Elle ne les voit plus… sauf si ce n’est pas une résignée qui attend l’opportunité de reprendre sa place dans le trafic.
L’écrivain est mal placé pour se ranger dans l’une ou l’autre catégorie. Dans la brillante, il ne ferait pas preuve d’humilité. Dans l’autre, on le prendrait volontiers pour un dépendant affectif définitif.
Vaste débat intérieur, qui, chez l’écrivain, lui permet d’écrire quelques belles pages - ceci évidemment ne pouvant être pris en aucune façon comme une manière de consolation.
Les plus complexés restent donc les prêtres qui conservent la foi. Les prêtres qui n’ont plus la foi restent plus aisément bien dans leur peau !
Mais quelle est donc cette morale ?