Des puces meurtrières.
On ne voit jamais en même temps les deux faces d’un mur, sauf quand on est au-dessus !
Il reste à faire quelques petits entrechats à saluer à la ronde et disparaître enfin dans la poussière des choses.
Tout qui chasse la bêtise s’y inscrit. Les plus belles inclusions sont celles qu’ont laissées les chasseurs d’idiots.
Célestine Baupié était toute en doxa et rien en épistémè, une chasseresse remarquable, puisque, chassant au boomerang, elle en était toujours la première victime !
La faute en incombait aux puces savantes qui vivent regroupées dans les ordinateurs pour des représentations d’un cirque violent, duquel elle avait une profonde aversion.
Il eût fallu réglementer tout avant même que cela fût inventé !
Comme si n’importe quel flic de village n’avait pas le pouvoir de connaître l’âge de sa voisine et les raisons qui auraient prévalu au retrait de son permis de conduire.
Piégé par les espions qui filment, les portiques qui sonnent, le radar qui accuse, le piéton n’a qu’à bien se tenir en faisant l’idiot.
Célestine Baupié s’était attelée à cette tâche insurmontable pour quiconque à faire l’idiot, mais si aisée pour sa personnalité. Eprouvée par beaucoup d’épreuves franchies avec un succès de l’échec sûr, Célestine maniait la brosse aussi bien que le faux raisonnement, car elle était artiste en son genre.
Bien entendu la bêtise attire. Elle excite extraordinairement les bourreaux potentiels qui courent les rues.
Les sadiques n’ont de joie parfaite que lorsqu’ils tourmentent les imbéciles.
Mademoiselle Baupié offrait toutes les garanties d’une souffrance indicible par les heureuses dispositions dont elle avait l’éventail généreux.
Archétype de la proie facile pour les cruels, Célestine excitait ces grands fauves humains, comme attirés par l’odeur du sang.
Toute boîte en fer blanc, pour peu qu’elle fût aussi volumineuse qu’une boîte à chaussure la terrorisait. Elle était convaincue que dans la pénombre, sous le couvercle, succédant à une fente, même minime, des informations sur son intime s’amoncelaient dans des disques durs qui partaient ensuite vers des décryptages mystérieux.
Dans la foule, elle parlait à voix basse à des relations qui n’y comprenant rien, avaient fini par acquiescer à l’avance sur tout, avant de la fuir. Elle se retournait souvent de peur qu’un agent spécial vînt accrocher à son dos un poisson d’avril invisible, mais combien efficace pour épier jusqu’à ses battements de cœur.
Tourner la clé dans la serrure, monter les escaliers et ouvrir la porte palière la laissaient dans une grande agitation. Elle aurait juré que les ombres qui se déplaçaient avec elle n’étaient pas toutes de la même nature que celles de sa personne en opposition à la lumière.
Elle avait rompu avec son dernier amant qui lui avait avoué un voyage d’agrément en Russie dans les années 80. Elle n’ignorait pas combien Poutine avait l’art d’attirer les occidentaux dans les rangs de sa police de renseignement.
Elle avait quitté son employeur le jour où il lui avait redemandé des données que la comptable avait perdues, comme son numéro de la sécurité sociale.
Depuis, elle hésitait à s’inscrire au CPAS de sa commune qui était en face d’un commissariat. Son chien qui était intégré dans le dossier des Fox à poils ras, avait à sa naissance été doté d’une puce électronique sous la peau. Elle s’en défit le jour où elle l’apprit par un vétérinaire.
Peu à peu, elle se débarrassa du téléphone, de la télévision, de sa machine à laver, dévissa ses ampoules, débrancha son grille pain, déménagea plusieurs fois, afin d’éviter les antennes des téléphones mobiles.
Quand vint la période des élections, la vue de ces trognes de pouvoir, étalées sur des affiches collées à la hâte, l’épouvanta.
La police secrète définitivement établie s’était résolue à sortir du bois. Elle exposait ses agents au grand jour. Mieux, elle accablait de fausses informations le citoyen assujetti à cette terreur des services spéciaux. Les vedettes des Brigades de choc du Royaume exhibaient même leur faux bourgmestre !
C’est alors que Célestine Baupié, poussée par un commerçant malhonnête, accumula les provisions dans une cave de son immeuble et s’y terra. Elle y serait encore, si un employé du gaz ne l’avait découverte à moitié folle de terreur, mais désirable encore.
Sa casquette d’employé du gaz portait un numéro matricule. Sa pochette s’ornait d’un badge « Agent X 127 ». Il avait à la main un appareil étrange à trois manomètres dont les aiguilles s’affolaient pour peu qu’il les remuât ! X 127 la convainquit qu’il en était, sans lui dire de quoi. Afin de conjurer sa terreur, elle n’avait qu’à en être aussi. Il lui procura des insignes, des écouteurs et même un faux révolver.
A présent, le soir, au lit, elle lui raconte sa journée de dénonciation, les coups de fils qu’elle a surpris, les regards complices que s’échangent les gens dans la rue, et les automobilistes en infraction dont elle relève l’immatriculation.
Après le rapport, l’employé du gaz prend son sifflet, et ils font l’amour à ce signal, suivant un code de brèves et de longues !
L’avenir est au beau fixe. Elle compte reprendre un chien.