Qui ne dit mot qu’on sente…
-Ah ! si vous m’aviez connu il y a seulement 5 ans… 5 mois… 5 jours ! J’écrivais en vers - comment est-ce possible ? - des alexandrins à quelques poétesses (Evelyne, Maria, Madeleine, etc) évidemment, de ces auteures sublimées aujourd’hui par la mémoire ! Je me suis relu : de la merde ! Je crois bien que j’écris toujours ainsi. J’ai un don : celui de faire de la merde. Comme s’il n’y en avait pas assez ! Dès que j’ouvre la bouche !... Je chie par le haut… Dès que je prends la plume, j’ouvre la porte des latrines afin de me servir en papier…
-Je rencontrai par hasard une de ces T-évanescentes, comme chantait Brel (Il est resté jusqu’au bout un homme de liaison). Nom de dieu, qu’elle avait changé ! Et puis, la première impression passée, presque pas… peut-être pas du tout !
« -Tu me reconnais ? - Non !...-Richard !...-Qui ? –Trois !…-Fichez-moi la paix où j’appelle la police ! »
-Elle faisait des efforts de mémoire… « où ai-je vu ce type ? Ce n’est pas possible, fichu comme il est fichu, il n’a pas pu être mon… ». Elle plissa le front. Je reconnus un geste favori : la main sous le menton. Je remarquai quelques lentigines… « Quel âge a-t-elle ? Et moi, quel âge me donne-t-elle ? ». Avais-je tellement changé ?
La mémoire lui revint. Elle est confuse : « -Ah ! maintenant, de profil. Pardonnez-moi, mais la vue, vous savez … »
-Traduction : Après vous, j’en ai connu d’autres ! C’est une chose que j’ai pu vérifier. La comptabilité des aventures des hommes, s’établit – à quelques exceptions près – en in octavo coquille. La diablesse atteignait le double colombier…
-Tu me vouvoies ? J’ai failli dire « voussoient » c’est la même chose, sauf que ça fait prétentieux. « -Je vous.. te vouvoie… C’est que je ne me rappelle plus. »
On s’était longtemps vouvoyés. C’était même enrageant, dans les vernissages ou des réunions du genre « lundi de la poésie » tout le monde la tutoyait et moi, dès que je dérapais dans le « tu » elle me lançait un regard courroucé ! Comme si les sœurs d’Anne ne voyaient rien venir !
(Je ne suis pas le seul pour le flair infaillible sur la question de savoir qui est avec qui…)
On se réhabitue vite aux personnes qui vous ont été chères… enfin, ceux qui, comme moi, n’ont pas de rancune. En amour, la faculté d’oubli est la plus belle des qualités. Mais sur quel prétexte nous étions-nous séparés ?
-Se réhabituer à Beatrix !... les après-midi de piscine, les frôlements et les jeux de son petit bassin. Sans les hauts talons – dans l’eau évidemment – elle était fort petite, mais si bien faite dans un maillot noir de compétition, que l’on aurait dit moulé sur elle. Et puis, elle nageait si bien… En crawl, on devinait juste la bouche et les deux rondeurs des fesses…
-Au sortir des Galeries, avec un grand sac de vêtements griffés, c’était dangereux de l’aborder. Son avarice contrariait l’envie des vêtements doublés de soie. Elle avait toujours été d’une certaine élégance. C’était même ce qui m’avait séduit, quand je la vis pour la première fois sur l’estrade où elle glosait sur la jambe artificielle de l’amiral Nelson à des crétins qui n’en branlaient pas une. On aurait dit une hôtesse de l’air de l’ancienne Sabena. Oui, elle donnait dans le démodé chic, un art délicat… Enfin, c’est la réflexion que je fis.
Béatrix n’avait pas trop changé : les yeux d’un bleu mauve surprenant, une peau lisse, des ongles faits et ce petit air sérieux et supérieur de maîtresse d’école dont elle ne se départait jamais, même dans les moments d’exaltations intimes. Je notai aussi le bruit de ses bracelets, car elle parlait avec les mains.
Débouchant derrière nous, me tapant sur l’épaule, quelqu’un dont le mauvais état dentaire me fut longtemps familier sollicita ma mémoire olfactive. « Simon ! », le mari.
Sans me retourner, je dis « - Simon ! », « -Richard ! » me répondit Simon.
- C’était l’amitié gênante de Simon qui m’avait éloigné de Beatrix. Il parlait sous le nez des gens, afin de ne rien perdre de ses suavités buccales, puisque l’autre les renvoyait par réflexe à l’interlocuteur pestilentiel… Je l’avais supporté pour l’amour de sa femme ! Comment était-ce possible qu’une femme aussi charmante, une poétesse de talent, pût dédicacer tous ses ouvrages à cette fourme humaine ?... de ces déferlantes amoureuses – texte incipit - à faire frémir de sexualité des corps de garde, que l’on sentait écrits, poitrine haletante, Mont-blanc à portée d’inspiration sur la tablette de nuit !... moite, déjà, à se livrer… « Simon, mon amour !». Certes, lui n’avait pas changé. Mieux, il avait étoffé ses fragrances, d’une certaine manière, par des prolongements de chou empyreume, et un rien de gingembre…
« Puisqu’on s’est retrouvé, on va fêter ça » dit-il, à deux doigts de ma bouche. Ce fut comme si j’en étais déjà au camembert !
Et je fermai les yeux de peur qu’il ne postillonnât et que j’en supportasse la trajectoire !
Beatrix se mit de la partie. Elle prenait un plaisir visible aux effluves. D’incertaine quant à l’avenir entre nous, elle passait - par sympathie pour son mari - à une réhabilitation de nos instincts, prolégomènes aux effusions préphalliques asymptotes, à l’hôtel des « Affaires cessantes », entourés des bouquets de roses de la tapisserie !
Nous nous quittâmes après des embrassades de Simon qui me mirent au supplice. Nous jurâmes de nous revoir. Dans l’émotion des adieux, j’omis de passer à Beatrix mon nouveau numéro de téléphone, griffonné sur la serviette quand je lâchai sa cuisse sous la table du restaurant. C’est parfois délicat d’être l’intime d’un ménage.