Aux fous !
Avec l’absurdité des temps, les progrès de la médecine ne réduisent pas le nombre de dépressifs et de malades mentaux.
Il faut voir à cela non pas une faiblesse accrue du genre humain, mais au contraire une « protection » naturelle contre un monde de plus en plus étranger à notre nature.
Quand les conditions de vie évoluent dans un sens qui ne nous est pas propre, le corps a naturellement une réaction de défense et si ce n’est pas suffisant, de rejet.
Il n’est pas sûr qu’on ait vécu des tensions et des contraintes aussi fortes que celles d’aujourd’hui dans le travail quotidien aux temps les plus reculés de l’histoire, même dans le monde antique où l’esclavage suppléait à tout dans l’organisation du travail de la Cité.
Ce qui est tout à fait nouveau dans l’ère industrielle que nous traversons, par rapport au travail forcé de jadis, c’est que les gestes avec le temps que l’on met à les accomplir sont ergonomiquement contrôlés et minutés.
Même ceux qui disposent de la faculté d’aménager leur temps de travail sont obligatoirement astreints d’accomplir des tâches déterminées. Peu importe s’ils les accomplissent quotidiennement en 8 ou 12 heures, puisque dans la plupart des cas, ils seront rétribués en fonction du travail accompli, et non pas au prorata des heures passées à la tâche.
Les dépressions et les maladies mentales ne sont pas nécessairement nos ennemies, mais nos « amies » là où elles s’attaquent à des personnes au travail ou s’apprêtant à satisfaire à l’obligation de s’y atteler.
Sartre, dans « l’Idiot de la famille » expose à la critique le cas de Flaubert, tombant du « haut mal » le jour où son frère aîné le conduit en carriole à l’embarcadère du coche d’eau afin que Gustave retourne à Paris poursuivre des études de droit qu’ils détestent, mais que son père, Achille-Cléophas, veut qu’il termine, à défaut de faire médecine.
Là où il y a conflit entre les êtres, eh bon sang ! ce qu’il peut y en avoir dans l’organisation taylorisée du travail, des forces de vie luttent en nous pour l’harmonisation et le bonheur.
La part de non rationnel que nous avons affronte le rationnel. Les résignés d’aujourd’hui sont des gens où le rationnel prend à chaque fois le dessus en accumulant les stress avec les apprentissages des barrières aux libertés individuelles. Les victimes désespérées du travail et du mode de vie que cette obligation génère se trouvent parmi les gens qui paraissent les plus normaux et qui font montre du plus grand zèle dans cette société.
La plupart affichent un large consensus affrontés au système Ils sont bien adaptés au mode d’existence actuel, parce que l’inné a été réduit au silence de telle manière qu’ils n’en ont plus conscience, de sorte qu’ils ne se rebellent pas contre le sort qui au lieu de les accabler, finit par les satisfaire.
Ils sont normaux non pas au sens de l’homme « préservé », mais seulement par rapport à une société profondément anormale qui les a remodelés.
C’est la perfection de leur adaptation à cette anormalité qui en fait des êtres adaptés dans une société qu’ils fuiraient, s’ils étaient pleinement humains.
Autrement dit, les fous ne sont pas ceux qu’on pense.
La preuve réside dans le fait des lois tendant à l’uniformité des êtres. Le pire ennemi de notre société aujourd’hui est celui qui pense autrement. On le voit bien depuis que ces lois excursionnent dans l’inconscient des gens, limitent le droit à l’expression, abolissent l’accès aux plaisirs que la normalité estime dangereux ou contraires à son éthique.
Jusqu'où peut-on pousser cette uniformité ?
Sans doute jusqu'à ce qui procure au bout de toutes les contraintes actuelles une possession maximale d'objets dits de civilisation et des conforts supposés qui y sont inhérents.
Comme les niveaux atteints ne peuvent plus être dépassés et que le système va dans sa régression produire de plus en plus de déchets humains, gare au retour de manivelle quand les derniers « conscients » verront leur existence sociale comme un drame absolu.
C’est une lutte de vitesse entre les derniers conscients et le décervellement qui se poursuit. Le jour où sans rechigner les populations au travail accepteront des coupes sombres dans leur niveau de vie et l’augmentation de leur contrainte physique pour des productions accrues, le système aura gagné sur l’individu.
Il n’y aura plus alors que des gens anormalement normaux mûrs pour une nouvelle société pire que l’ancienne société esclavagiste, mais comme personne n’en aura plus conscience…