Le Traité bidouillé.
Jeudi prochain, l’Irlande, le seul pays à se prononcer par référendum sur le traité européen dit de Lisbonne, appellera les électeurs aux urnes.
Tous les autres ont préféré ne pas demander l’avis des gens pour cause de trouille à la suite de l’échec précédent d’à peu près la même mouture.
Alors nous avions à la plume Giscard, de l’Académie française, et Dehaene, pour sa réputation de fourrer son nez dans tout, à condition que ça rapporte en gloire ou en argent, et si possible les deux.
C’est dire l’état de la démocratie en Europe et comment les pouvoirs la détournent en la bidouillant, revoilà le même morceau, avec les mêmes défauts, mais avec quelques virgules en plus et certains mots biffés.
J’ai essayé de lire ce morceau de bravoure. Les feuillets me sont tombés des mains. C’est pratiquement illisible, une sorte de condensé des pensées de Wittgenstein dans ses moments où ce philosophe se croyait écrivain et de Nietzsche lors de ses troubles mentaux.
Ah ! elle est belle l’Académie française…
Pourtant l’arbre du style ne cache pas la forêt des bonnes intentions économiques à la gloire du capitalisme militant et que dalle sur le social.
Alors, comme se questionne « La Libre » « Le processus de ratification du Traité de Lisbonne va-t-il chuter sur le seul véritable obstacle qui se dresse encore sur sa route ? »
Déjà l’Haut-lieu se lamente, l’Irlande ne devrait-elle pas changer sa constitution qui l’oblige à faire un référendum sur les questions importantes ? C’est bien ce qu’on pense en Belgique, puisque les partis se frottent les mains d’avoir entre responsables adultes arrangé le coup !
Trop cons pour réfléchir, les Irlandais vont-ils faire chavirer le beau navire de Barroso ?
Ce serait assez piquant qu’une population de 4 millions « de cons » fasse la leçon à 470 millions de supercons, puisqu’on les prive de consultation pour cause d’idiotie !
Les sondages qui au début bêlaient de bonheur dans le sens du poil, on ne sait pas pourquoi, paraissent s’infléchir en faveur du non ! Les « nonistes » sont à 35 % et les « oh ! oui - oh ! oui » à 30. Le reste, comme partout ailleurs n’en ont rien à foutre, sinon qu’on les dérange.
Si l’on y incorpore ceux qui n’iront pas voter, ça fait quand même du monde qui voue l’Europe à la cata..
Il faut croire que l’Europe n’enthousiasme plus les foules. Même dans les écoles où les enseignants avaient le devoir de patriotisme élargi au continent, il y a de l’essoufflement. C’est que l’Europe vue sous l’aspect d’une immense chambre de commerce n’intéresse plus que les délégués des pays qui la composent pour le fric et le statut qu’elle leur procure. Il n’y a qu’eux seuls pour ressentir le bonheur de presser le pis bienfaisant de la génisse de la politique agricole qui a remplacé la Louve de Romulus et Remus.
Evidemment, comme les coiffeurs qui vantent les qualités de leur lotion, les députés européens ont des prospectus plein la mallette : sans l’Europe nous serions en guerre et couverts de boutons, c’est dire notre ingratitude !
On va donc vers le vote historique de la foutue Irlande avec des semelles de plomb.
C’est que cette mouture, aussi biscornue soit-elle, est la seule dans les tiroirs. Si elle venait à être rejetée, c’est quasiment 10 ans de tortillements du verbe « vivre » ensemble qui seraient fichus par terre, d’Ormesson et Giscard, de l’Académie, définitivement en maison de retraite.
Le traité de Nice était pas mal bistorte aussi. Mais il faudrait bien y revenir. Heureusement pour les opportunistes du système Europe, leurs salaires ne seraient pas remis en cause et l’apologie de l’économie mondialisée, non plus, mais ils auraient perdu la face et il faudrait bien revenir devant leurs électeurs afin d’expliquer le fiasco. Ce qui n’est jamais agréable, dans une conjoncture aussi défavorable.
C’est aussi la présidence française qui va débuter dans le pétrin. Sarkozy a l’habitude des mauvais sondages, mais tout de même, la politique ambitieuse qu’il comptait mener à Bruxelles aurait dès le départ un coup d’en l’aile.
Et nous les petits, les obscurs, les sans grade, comme dirait Edmond, que deviendrions-nous sans le traité ? Nous vaquerions pareils à nos petites et médiocres affaires, mais nos Foudres de guerre, nos Périclès en devenir, nous en voudraient sûrement de leurs échecs, en tout cas nous en gratifieraient de la faute, un peu comme Weygand et Pétain en Quarante qui imputaient la responsabilité de la débâcle de l’Armée française aux Citoyens, à la semaine des quarante heures et aux Congés payés et surtout pas à l’État-major !
Nos illustres n’ont pas changé par rapport à autrefois.
Je l’ai toujours pensé aussi, nous ne les méritons pas. Mais qu’attendent-ils donc pour prendre leur retraite ? L’île d’Yeu comme Pétain ?