Pour une autre morale
Qui n’a jamais rêvé d’une morale personnelle ?
Une morale faite pour soi, tirée de ses propres arguments, une morale construite par le raisonnement et d’après son expérience ?
Les valeurs qui sont imposées, sont les En-soi platoniciens reconduits sous la condition de quelques retouches de la religion. Nous défendons encore aujourd’hui, parfois à notre corps défendant, une morale d’Etat, suite logique à une morale d’église.
Ainsi les valeurs ne sont pas posées par une conscience unique, la nôtre, mais le fruit de la conscience collective qui nous opprime, dès que nous ressentons le besoin de changer le discours officiel en un discours particulier et que nous ne le pouvons pas.
Si bien que nous recevons comme un héritage ce qui n’est pas de nous, une opinion plus qu’une morale, un diktat auquel nous adhérons sans inventaire, comme si cela allait de soi, comme si nous en étions les auteurs, et que nous aurions mission de propager et d’ainsi perpétuer. De sorte que ce diktat que nous reprenons à notre compte, nous propulse en lieu et place de ceux qui l’on produit, nous substituant à eux, dans une sorte de prolongation du bras de la dictature par celui de ses victimes.
Les moralistes nous rétorquent que l’on ne peut pas dire la morale individuellement. Cela ne serait possible que si tout le monde était moral.
J’entends bien.
Mais alors, qui dit la morale ?
Des « sages » rassemblant un ensemble de conventions produit de « l’usage » et sélectionné par eux.
La première application de la morale se fait dans la vie sociale, enfin celle qui visiblement régit un ensemble d’individus.
Quand on pose la question des principaux motifs qui font cette cohésion sociale pratiquant une morale d’après des règles apprises, juste après le respect des autres, vient la tradition. Encore que le respect des autres de cette société, paraît douteux.
Or, la tradition n’est-ce pas cette transmission inconsciente d’une génération à l’autre, de valeurs acceptées sans examen ? Bien que fondées sur un accord général, ces valeurs sont la quintessence de diktats anciens dont on s’épuiserait vainement à rechercher les arguments intemporels.
Ces valeurs révèlent notre incapacité à traduire nos actes en morale.
Dans la classification d’aujourd’hui nous devons accepter comme issu de la volonté d’autres, ce qui ne l’est pas par nous. Il faudrait y voir une nécessité dialectique selon Hegel qui affirme que la première relation individuelle est à coup sûr celle du maître et de l’esclave !
Doit-on considérer sous ce rapport que toutes les sociétés, y compris les plus démocratiques, sont encore sous certaines formes des sociétés esclavagistes ?
L’individu résiste à la morale, comme la Nature à la science. Peut-on parler d’un immoralisme caché de l’homme comme étant le pendant immoral de la nature ?
De même, l’Etat résiste à la morale puisqu’il est formé des mêmes individus ; mais par transcendance ceux qui paradoxalement devraient dire la morale en qualité de « sages » masquent sous les artifices de ce qu’il faut faire, la somme des choses qu’ils répriment ou désavouent chez les autres et qu’ils font.
L’intérêt majeur pour une morale dégagée des artifices serait de se préoccuper d’un essentiel grandement menacé.
Le juste et l’injuste devraient être redéfinis selon ce que les individus « sentent » de ces contraires et non pas selon les approximations délibérément faussées d’une morale d’Etat, empirique et de circonstance.
La Libre entreprise sous la forme qu’elle revêt aujourd’hui, à savoir dominée par les grands ensembles dont les objectifs sont indiscernables par les acteurs à son service, est-elle morale ? La démocratie est-elle compatible avec les modifications actuelles du système capitaliste, étant entendu qu’elle ne l’était déjà pas précédemment ? Comment concourir à la mise à plat des raisons opposées, les unes dégageant une morale de la libre activité, les autres prônant le contraire, en sachant que les premières sont actuellement prépondérantes et les secondes ayant amené, par le passé, quelques fiascos ?
Voilà, me semble-t-il les premières questions auxquelles nous devrions répondre pour une autre morale, une morale acceptée et non plus une morale d’adaptation, fabriquée et dénaturée. Une morale qui, plus que de convenir à certains, conviendrait à tous.
(suite demain : Le maître et l’esclave)