Un parti fusionnel ?
S’engager dans la voie de la suspicion n’est pas dénué parfois de remord à cause des outrances, des engagements excessifs, un penchant pour l’exagération et pire, les ressentiments que l’on maîtrise mal (c’est ça ou l’ulcère) dont le lecteur pourrait se plaindre. Parfois, un vieil ami signe Tounet en-dessous de ses griefs. Il condamne mon manque d’éthique, qu’il faut prendre ici comme un manque de sérieux. Il paraît que je prends un malin plaisir à confondre le métier de journaliste avec celui de marchand de quatre saisons ! Comme si j’avais du dédain pour les vendeurs de légumes !
Autant il est stupide d’adhérer par irréflexion à un parti, à la suite d’un entraînement naturel ou une tradition familiale, autant celui qui ne s’engage à rien laisse à d’autres le soin de le faire à sa place. Il a le sentiment qu’on l’incorpore d’office dans le parti du plus grand nombre qui fait l’essentiel des démocraties d’aujourd’hui.
Pour qu’un même dénominateur de rassemblement s’étende à tous dans ce parti du plus grand nombre, faut-il que ce soit en termes vagues que Monsieur Consensus ait rédigé son programme. Et pour cause, il faut que ce programme parti de rien arrive à peine à quelque chose. Quelque chose qui ne heurte pas l’un ou l’autre, dans une neutralité de couleur et d’expression. Les aspérités sont redoutées dans ce programme, comme dans la vie. Un univers plane sans surprise et sans brutalité, il semble correspondre à l’aspiration générale. Là, la ligne parallèle devient asymptote par l’effet de la géométrie nouvelle !
Comment se déterminer à un choix, si tous les partis se dépensent sans compter pour atteindre la perfection de la platitude ?
On a vite dit qu’il n’est plus possible de s’intéresser à la politique, que c’est une affaire de professionnels, généralement d’avocats. Quand on a quelques idées originales et que l’on n’aime pas du tout la gestion du pays de ceux qui sont au pouvoir, ne pas s’exprimer devient une sorte de démission : le renoncement à ce que l’on est.
J’entends bien que celui qui ne pense pas et qui n’est rien est parfaitement à sa place dans le parti du plus grand nombre.
A-t-on déjà posé la question aux membres de ce parti ?
Aucun n’y conviendrait. C’est qu’on vit par l’esprit dans un monde actif imaginaire parallèle au monde où il ne se passe rien. Si bien que l’on se satisfait de son état, puisque le corps est en repos et que c’est seulement par l’esprit que l’on se meut.
Alors, ne dites jamais qu’adhérer au parti dans lequel tout le monde adhère ne sert à rien. Personne ne vous croira. Au mieux vous passerez pour un sophiste. Au pire pour un sceptique invétéré.
On pourrait objecter que le parti du plus grand nombre n’existe pas, puisqu’il engloberait tous les partis et que c’est impossible. Certes, c’est un idéal que tous ont en commun, comme la démocratie. Est-ce que quelqu’un de raisonnable peut se croire en démocratie ? Pourtant, on fait comme si on y était.
C’est comme la perfection. Tout le monde y tend. Seul Alain Delon y est parvenu.
Peut-être bien, mais l’objectif est bien évidemment le même pour l’ensemble des partis. Aussi combattent-ils sous des bannières différentes dans l’espoir d’être le parti unique du plus grand nombre.
Pour y arriver, ils essaient de gommer leurs différences. Des progrès ont été faits. C’est ainsi que déjà il est difficile de distinguer la gauche de la droite. Des mimétismes s’objectivent entre socialisme et libéralisme. Seuls les notions de haut et bas subsistent. Il est très difficile de confondre les situations sociales en une seule couche de ripolin. Si le Président de Fortis peut dormir sur ses deux oreilles parce qu’il est évident que le krach ne l’atteindra pas, on ne peut pas dire la même chose de l’épargnant qu’il aura séduit.
Les partis en sont conscients. A des degrés divers, ils essaient de convaincre ceux qui hésitent d’adhérer au parti du plus grand nombre en usant d’une persuasion basée sur la fatalité qui gouverne le monde. Ils minimisent les différences, surtout celles qui semblent inévitables.
A des gens qui adhèrent d’enthousiasme au parti du plus grand nombre, il est bon que par un jeu de miroir, tous aient une vision réductrice de ces différences.
Le Centre gauche s’y emploie en insistant sur le caractère social de son futur parti du plus grand nombre. Il l’explique par la comparaison des tailles humaines. Les petits auront droit à des talonnettes, les grands à des sandales. Le centre droit propose des tours de tailles identiques, les gros n’auront qu’une chemise sur le corps, les maigres auront des habits rembourrés.
Mais on voit bien que les démarches se ressemblent.
Comment se déterminer si c’est pour adhérer à un bonnet blanc, quand l’autre est un blanc bonnet ?
Je ne sais pas.
Dans cette alternative, un hésitant n’en est pas moins homme. Il poursuit ses réflexions, éventuellement ses sarcasmes, ses exagérations et peut-être exprimera-t-il comme par le passé ses appréhensions et son animosité de-ci, de-là ?
Je suis dans le cas.
Comme l’histoire semble se précipiter, voici venir le temps du choix.
Si vous avez une idée, c’est le moment...