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Di Rupo chevetognant…

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Autant l’écrire d’emblée, on peut décortiquer tous les discours de nos hommes politiques de la même manière. C’est donc arbitrairement que j’ai choisi le discours de clôture d’Elio Di Rupo des rencontres d’été 2008 du PS à Chevetogne.
Celui-ci est intéressant pour la date. La crise économique couvait déjà, elle n’était perceptible pour les socialistes que sous des idées générales. Alors pourquoi mettre le feu aux meules de l’été, se sont-ils dit ? Leur chef était bien d’accord, son indignation fut donc à portée limitée.
Le discours fait 14 pages dans le blog du PS et peut être téléchargé en son entier.
L’impression générale est le vide intense dans la succession des mots pourtant judicieusement placés de façon cohérente. L’essentiel n’était pas là, sans doute. C’est Pierre Clastres (La société contre l’Etat aux éditions de Minuit) qui l’écrivait déjà en 1974, c’est-à-dire peu avant que les techniques de la communication ne soient passées de la vente des aspirateurs, aux personnels politiques : « Parler est pour le chef une obligation impérative, la tribu veut l’entendre : un chef silencieux n’est plus un chef. Ce n’est pas d’esthétique qu’il est ici question, mais de politique. La parole du chef n’est pas dite pour être écoutée. Parce que littéralement, le chef ne dit prolixement rien. Son discours consiste, pour l’essentiel, en une célébration, maintes fois répétée, des normes de vie traditionnelles. »
Il n’est pas anodin non plus que ce discours clôture les rencontres. Le dernier mot ne doit-il pas revenir au chef ?
Les premières cinq minutes sont consacrées aux remerciements dont la fonction est de toucher le plus de monde possible. Il y est certes aussi question de la crise, mais de façon à n’alarmer personne et dans des termes qu’avant d’être prononcés chaque participant des « Rencontres » pensait personnellement, comme « Nous sommes au cœur d’une crise intense… due aux aventuriers obsédés par l’argent… les familles ne s’en sortent plus…le bling-bling, l’arrogance… prennent le pas sur les valeurs…
Belle découverte ! comme si l’argent avait été jusque là au service « des valeurs » !
Evidemment le chef rassure tout de suite : « …le PS entend redoubler d’effort… » etc…
Ce qui frappe chez Di Rupo comme chez Reynders, ce sont les syntagmes nombreux que l’on pourrait désigner comme des formulaires ou des lieux communs. Elio Di Rupo n’a pas la voix qui porte. Lors des scansions au cours desquels il martèle les mots, la voix révèle des aigus de fausset. C’est fâcheux, évidemment.
Chez les socialistes le carton du pupitre dissimule quasiment tout le corps de l’orateur ! C’est ainsi qu’on voit à peine Laurette Onkelinx quasiment sous la table. Fabriqué pour lui et sans doute à sa mesure, le pupitre va bien à Elio qui a le geste qui part souvent vers la salle. Ainsi, il donne, au lieu de recevoir. C’est sans doute ce qu’on lui a appris. Bon point, là-dessus.
La prévisibilité du discours est évidemment à la base de toute intervention politique. Citons pour le plaisir : son « bravo » après une longue période au cours de laquelle il énumère les problèmes qui par ce « bravo » accorde un satisfecit au PS, non pas que ce dernier ait trouvé des solutions, mais parce qu’il y pense ! C’est déjà, ça, évidemment.
Le style « formulaire » a comme fonction essentielle de rassurer les gens. Son « Le PS n’a pas peur de mouiller sa chemise » précède un « nous préférerons toujours l’action aux incantations ».
On se croirait au supermarché « Leclerc » en annonce sur Europe 1, quand toute l’astuce de ce commerçant consiste à placer son nom deux ou trois fois en 30 secondes dans sa pub. Ici, c’est « PS » qui remplace « Leclerc » et c’est le chef qui fait la pub lui-même : « le PS se révèle efficace et utile pour les gens ». Leclerc, lui, n’a pas encore osé le dire lui-même, c’est dire si le commerçant à encore des progrès à faire !
Di Rupo au chapitre Solidarité se surpasse.
« Jamais, les socialistes n’accepteront la fatalité de la régression sociale au nom de la compétitivité ». Dans les villages Malgaches, c’est Maurice Bloch qui le rapporte, le langage fonctionne comme un piège qui oblige l’interlocuteur à accepter ce qui est dit et rend toute remise en question impossible. Car, qui accepterait la régression sociale comme cela est proféré par le président Di Rupo ? Même les banquiers n’en veulent pas ! On ne va pas aller voir en-dessous ce qui se passe, puisque les socialistes ne l’accepteront jamais !
Je pense à Pierre Bourdieu (Ce que parler veut dire.) qui nous a quitté trop tôt et qui écrivait : « le pouvoir des mots dépend essentiellement du pouvoir accordé à ceux qui les prononcent ».
Un peu plus loin, Di Rupo refuse « la société casino » selon une expression pêchée dans « Marianne » pour nous faire croire « que la solidarité nous enrichit humainement », le chef laisserait de la sorte supposer à l’auditoire, s’il avait une once de malignité, qu’elle « n’enrichit pas personnellement » ce qui pour des socialistes qui ont choisi la société libérale est contradictoire.
Le discours se termine par un « Ensemble bousculons les conservateurs, combattons les régressistes ! ».
Le chef doit « aménager », puisqu’il est transformateur. Il transforme donc le vocabulaire. « Régressiste » est le mot nouveau du jour.
Il aurait pu parler du caractère régressif de ses contradicteurs, mais non, c’est la trouvaille, comme avant lui Chirac, Ségolène Royal et tant d’autres. C’est le « bouleversifiant » de Toscan du Plantier ! Ainsi le chef se montre apte à bousculer les événements, puisqu’il commence par bousculer les mots.

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La finale est importante. Di Rupo ne l’a pas ratée. Chez ce franc-maçon convaincu, la religion n’est pas loin. « Allons les uns vers les autres », ça ne vous rappelle rien ?
On sort de ce discours avec le désagréable sentiment qu’il a servi uniquement à la manifestation de celui qui l’a mis en œuvre. Il aurait été dit par le dernier des socialistes présent dans la salle, il eût été sifflé. Certains acteurs auraient demandé des explications, suscité des railleries. Ici, il a été suivi d’une salve d’applaudissement !
La magie sociale des mots opère du simple fait que l’orateur ne pouvait pas être un autre que Di Rupo.
C’est aussi simple que cela.

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