He’s a queer customer.
Le monde change.
Déjà sous Ramsès, on voyait plus le Nil comme avant.
Aujourd’hui, on louche sur le pognon comme une fin en soi. La fin du pognon, si on suit bien Alain (La recherche du bonheur III), c’est vivre librement quand on en est fadé.
Apparemment vivre librement ça n’intéresse pas.
Voyez Lippens, Davignon, De Haan, et tous les mecs à fric, ils ne vivent pas librement. Ils pensent que la fin en soi, c’est faire du fric !
Lippens, il a fallu qu’on brise son jouet pour qu’il se replie sur son domaine. Mais dans quel état ! Vieux et cassé, alors qu’à moins de quarante ans, il avait déjà pour faire et la prestance en plus !
Peut-être, vous me direz, il ne pensait qu’à ça, l’argent, le pouvoir… C’est malheureux une fin pareille… Ce type en s’arrêtant à un âge raisonnable, aurait pu être heureux…
Et l’autre, le vieux sage, juste avant de claboter, la dernière affaire, l’ultime conseil !... M’sieu Davignon, juste un mot : est-ce que vous pensez que le gros de la crise est derrière ? Et l’autre qui n’en sait rien de prendre l’air réfléchi, pour nous foutre en l’air notre dimanche.
Et ça à quinze jours des urgences ! Belle fin en soi…
Centenaires, ils seraient encore comme des gamins, à se pousser les uns et les autres pour voir celui qu’arrive premier. Par civisme, amour de l’Etat, fidélité au roi, honneur d’être Belge ?
Vous foutez pas de ma gueule…
Aujourd’hui prépare pas demain. Pour ce qui est d’hier, les morts dans la soie vous raconte pas comme ils ont soufferts à garder leur pognon. Les vieux pleins aux as aujourd’hui n’en finissent plus à détailler leur malheur, jusqu’à des minuits à rester dans les bureaux à se taper des chiffres. Je ne dis pas que certains ne se tapent pas leur secrétaire aussi, mais à même les bilans et les dossiers urgents, la table de travail tient lieu de lit… Puis l’âge vient où ça n’intéresse plus, ou alors, en « spéciale » manche de pioche et pied au cul. Hue dada ! le vieux canasson…
- Dis ! Tu la veux de ta petite salope ?
- Oui, mais pas sur le bleu de la semaine dernière…
Si on vous filait la liste des gens illustres à leur époque, et qui sont morts à la nôtre inévitablement, au point que leur nom ne nous dit plus rien, on aurait une de ces lectures qu’à côté les Mémoires du duc de Saint-Simon auraient l’air d’être une oeuvrette d’Amélie Nothomb.
Seule l’œuvre d’art traverse le temps, et encore pas toujours. Le « Jeune garçon » de Andrea della Robia gardera « éternellement » ses dix ans d’âge, devant les visiteurs d’un musée de Florence.
C’est comme 14-18, plus de témoin oculaire. Ça fait pas un pli qu’un jour un vicieux va écrire une thèse selon laquelle elle a jamais eu lieu.
Le modèle, dont on se fout, a vécu ce qu’il a pu et est mort dans un anonymat qui est celui d’aujourd’hui. Peu importe ce qu’il a été et ce qu’il a fait. Son destin s’est achevé à sa mort. Comme nous tous, l’importance ne vaut que pour le vivant.
La liberté se décline au présent. La liberté pour plus tard, c’est mensonge et politique. Si c’est raté en décembre 2008, faut pas compter dessus pour l’année prochaine.
C’est comme tout le reste, c’est dans le présent que cela se passe. On sort du musée. Le ciel est bleu. Les gens vont et viennent. On a faim ! C’est tout. Et tandis que nous, on bouffe une saloperie pas cher qui cale l’estomac, les mecs à pognon soignent leurs ulcères.
Il faut croire que le présent nous terrorise, au point que nous remettions à d’autres le soin d’en assumer le mouvement, pendant que nous bossons à mettre debout une merde quelconque dont seuls les imbéciles seront fiers, on croit payer notre passeport à la société pour des jours paisibles.
Justement, ce que nous croyons être des jours paisibles, parce que nous nous en remettons à d’autres, ne le sont pas.
Bref, notre domestication à un coût.
Comme ceux qui ont le pognon comme une fin en soi, nous gâchons tout en perdant notre liberté.
Est-ce drôle de vivre un présent de domestique ?
C’est une profession comme une autre et qui a sa spécificité et qui mérite le respect.
Oui, mais quand elle n’est qu’indirectement exercée par des gens qui se croient libres et qui ne le sont pas ? Qui croient qu’être facteur ou ingénieur dispense d’être domestique !...
Quand comprendrons-nous que la vie, c’est aujourd’hui ? Et même en nous supposant un avenir, pouvons-nous être assurés que nous serons encore à même d’agir volontairement sur notre destin sans contrainte physique demain et les autres jours ? De toute manière nous nous poserons à chaque fois la question de la durée, sans jamais pouvoir obtenir la réponse : « Jusqu’à quand ? ».
La passivité tue l’acteur et son présent.
L’Etat a toujours le dernier mot, même sur les vieilles ganaches qui ne vivent encore un peu qu’en entrouvrant la porte blindée de leur coffre-fort. L’air confiné qui en sort leur fait du bien.
Mais l’Etat est pour eux, pour eux seuls. C’est ça qui nous dérange.