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Tu ris… chérie ?

On s’est trompé d’époque. On se fend plus la gueule comme avant. C’est pas un cours sur l’humour, que j’te fais, mignonne. C’est rien que des songeries…
Quand on refermait sa braguette, c’est qu’on avait pissé loin ou que Camille était devenue plus calme. Les gens avaient pas la gueule de rat crevé qu’on voit partout et nulle part.
Le Moi est devenu la cible privilégiée de l’humour.
Rire collectif, voilà longtemps que même au théâtre, ils y arrivent plus. Le sens du burlesque s’est barré. Même Reims a réveillé des ulcères, des haines refroidies qu’attendaient Aubry, droite dans sa gaine, comme voilà cinquante ans qu’on n’en porte plus. Les julots pour se réchauffer, trouvent plus leur compte. Personne a crié « A poil Ségo » !
Avant, on n’avait qu’à dire « Tu crois qu’ils s’arrangent au péesse ? » pour être malade de rire.
La fin du rire eut lieu à Monnaie de singe, le coup de la cabine des Marx Brothers, la toute dernière chance de rire collectif. Après, ce furent Butt Abbot et Lou Costello, avant Bush et sa quintessence.
La drôlerie se fait plus en tir groupé.
Woody Allen ne cesse jamais de se faire psychanalyser. Il est pas dupe de son propre ridicule. S’il y va, c’est pas de sa faute. Puisque c’est le spectateur qui se voit à sa place et qui rit de lui-même. L’objet de l’humour gît dans la conscience de soi.
Il baise encore sa femme, qui est psy, mais il préfère s’envoyer une cliente. On rit comme le type qui est sur le divan, c’est nerveux.
Les vices d’autrui, personne veut plus les voir, question de se faire tout seul son petit plaisir.
C’est la société qui se croit humoristique qui a détruit la première le rire de groupe. Les claquements de porte de Labiche, les comiques troupiers, surtout ceux qui faisaient dans leur froc, rien que pour égayer le public de la digestion d’une solide soupe aux pois juste avant le spectacle, c’est fini.
Faut plus compter sur le café-concert pour se taper par le rire la petite avec qui on a dansé le tango. D’abord, on danse plus le tango et puis la sono empêche le dialogue table à table du café-concert, justement.
Tu cries « Béa t’es qu’une bourgeoise. T’es ignoble comme dix salopes et tu m’emmerdes… ». Elle te répond « oui, chéri, pas ici, dans mon bureau à l’étage… ». Et elle te balance un grand sourire et croit que c’est sa poésie qui te fait bander...
Les plaisanteries à haute voix, les convives tournent la tête pour pas avoir à faire semblant de rire.
Avant, on évacuait les femmes mortes de rire, fallait leur faire prendre l’air, les délacer pour qu’elles respirent. Qui c’est qu’aurait le courage de délacer l’Aubry de nos jours ? Delanoë est pris ailleurs…
C’est plus que dans le noir qu’on pousse un cri d’ensemble, quand on ne voit plus qu’un pale imitateur au milieu d’un rond de lumière qui lâche une vanne que Mayol déjà prononçait sur son lit de mort.

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Le bruit éteint le rire. Et le bruit est nécessaire parce que l’esprit fout le camp et que dans une soirée il est indispensable que les danseuses ignorent ce que disent les danseurs. Non pas qu’il y aurait de l’incongru, de l’inattendu, de la galanterie fleurie murmurée et à peine audible sur les lèvres du male, mais parce qu’il n’est plus foutu d’ouvrir son clapet pour en sortir une bien fine, une bien salace, façon grand siècle ! Il peut brailler tout son saoul de conneries, la chose en face comprendra que dalle.
Les femmes depuis qu’elles ont le nombril à l’air, leur cul n’intéresse plus !
Le rire de fête, un peu guindé et de bon aloi, comme le rire en explosions intempestives, le pincé, celui qu’on réfrène, sont en voie d’extinction.
La personnalisation moderne renferme l’individu sur lui-même. C’est même plus la peine d’investir dans le léger. Les bas résilles résistent encore un peu, mais c’est pour le folklore ou le bordel, le confetti ultime ne tombe plus du slip sur la table de nuit.
Quand le rire dépasse le chuchotement, on t’envoie un psy pour encadrer ta douleur. On croit que tu chiales !...
Les troubles prolifèrent. Les névroses sont narcissiques. C’est à se demander comment il se fait que la banque du sperme est au bord de la faillite, vu que la société sombre dans le plaisir solitaire. Dans les chambres d’hôtel, on devrait mettre un thermos spécial sous le lit, prêt à l’emploi… à l’azote liquide les branleurs !
C’est l’éradication des spontanéités pulsionnelles en couple. L’émotion se neutralise. L’artiste ne transmet plus qu’une merde à ne faire rire que les imbéciles. Le notable marche sur des œufs. On le paie au sérieux. Seules les tronches à la Torquemada rapportent encore un peu. On se demande pourquoi Ruquier n’a pas encore mis en scène un bloc sanitaure où tout le monde va se torcher avec des billets de banque. Peut-être cela arracherait-il une dernière rigolade ?
On a éteint les feux des signes extérieurs. On ne s’engueule plus comme avant. La discussion monte au crime tout de suite. On veut achever sa victime avant de l‘avoir fait souffrir. Le goût des belles manières ne se voit plus que chez les serveurs des restaurants.
L’atrophie du rire, c’est toute la discrétion des banques qui remontent à la gueule du client qui peut plus lire par-dessus l’épaule de celui qu’est devant, combien il lui reste pour finir le mois.
C’est une culture faite de propos gras et égrillards, de sottises surréalistes parce qu’un brin racistes, de moqueries et de propos à faire rougir un moine de l’abbaye de Thélème, qu’est passée à l’égout.
Bref, on ne peut plus mettre un pet devant l’autre sans faire rougir les dames et brunir les caleçons, sans compter que le geste peloteur – qui accompagnait souvent la plaisanterie - conduit l’honnête divagant aux Assises…
C’est la fin de la joie, tuée par le sérieux !...

Commentaires

Raymond Queneau?

Tiens, oui, cher lecteur, Queneau... Quoique Zazie, la délurée, a quand même vieilli. Reste les jeux de mots et cette finesse que l'on découvre de façon inattendue là où elle ne devrait pas être.
Vous l'avez compris, le rire n'est pas mort. Il est en veilleuse, comme le gaz.
Des mains adroites peuvent tourner le bouton pour qu'il pétille. Une saison fichue ne gâte pas tous les printemps.
Bien à vous.

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