Un monde parfait !
La nouvelle société est très ancienne. En réalité, on n’a presque jamais connu qu’elle. Personne ne sait d’où elle vient et encore moins où elle va. Mais, c’est ainsi. C’est la nouvelle société.
Elle était peut-être déjà inscrite dans les gènes de l’humanité ?
Dans une caverne en Ardèche, on a retrouvé sous des stalagmites qui datent la découverte de 300.000 ans une sorte de coffret en pierre avec tiroir dans laquelle des coquillages étaient rangés par taille. On suppose que c’est l’ancêtre du tiroir-caisse.
On a quelques indices sur cette société et de son évolution.
On sait par exemple que c’est la meilleure que l’on ait eue, à cause d’une expérience malheureuse… un avatar imaginé par quelques trublions jaloux en 1917. Cette expérience aussi brève qu’elle ait été, a quand même permis de trouver la nôtre incomparablement meilleure. Aussi, tout le monde est appelé à l’admirer.
Elle est simple à vivre. Il n’y a qu’une opinion et une façon de voir les choses. Le peu de divergences n’existent que dans la stratégie des partis qui la composent. Cela se résume à quelques postures différentes, minimes, sur la manière de présenter les choses, les réformes et les mesures à prendre. Chacun peut prendre part à l’élaboration du plan général à condition d’être accrédité au niveau où l’on est placé par les diplômes et les moyens familiaux dont on dispose. Bien entendu, ces réunions sont très décontractées quand on a le feu vert pour y participer. Il y a des modes que l’on n’est pas obligé d’observer. Par exemple, le port de la cravate n’y est plus obligatoire. Il est même déconseillé de la porter lorsqu’on y atteint un bon niveau.
La nouvelle société est riche par la liberté d’entreprendre qui génère toutes les autres libertés. Il est convenu que certains échanges ne peuvent pas faire l’objet de surenchère ou de critique. On échange son travail contre de l’argent à un niveau convenu et de l’argent contre les commodités. C’est la société du libre échange. Cette société est intangible et indestructible. Nul ne peut y contrevenir puisqu’elle est la meilleure.
Ce sont les citoyens avertis des progrès qu’ils y font qui sont chargés de la défendre.
Les plus valeureux d’entre eux sont décorés. Les plus chaleureux sont les socialistes, parce qu’on les soupçonna il y a bien longtemps de n’être pas convaincus des avantages de la nouvelle société. Alors, ils font du zèle et les gens les aiment pour ça. Le rôle de sauveur de la Nation est souvent tenu par eux. Ils y sont meilleurs que les libéraux, nos vrais fondateurs et héros.
Les progrès ne peuvent être discutés, même s’ils sont le signe d’une régression. Les régressions sont le signal d’une bonne santé, puisqu’elles ont été des paliers de progrès qui ont été dépassés par d’autres progrès, aussi revenir en arrière n’est pas une perte, mais un ancien acquis. Les anciens acquis accumulés peuvent créer des critiques extérieures à la nouvelle société quand celle-ci ne repart pas tout de suite au rattrapage de ce qu’elle avait et qu’elle a perdu momentanément. La croissance ne doit jamais être perdue de vue. Le temple de la croissance, c’est la bourse. C’est là qu’on y forge le bonheur pour tous.
Deux catégories d’individus assimilés à une seule par l’expérience : les originaux et les terroristes sont les maillons faibles connus et maîtrisés de notre merveilleux système..
L’original commence par avoir un doute sur la nouvelle société. Il accumule les mauvaises raisons et cette idée fausse qu’on pourrait faire mieux en mettant en doute notre liberté d’entreprendre et d’être heureux !
Fausse, puisqu’il n’y a pas d’ailleurs qui se puisse être ! Même Ben Laden a de la Bud bien fraîche dans son frigo.
Comme il n’y a pas d’ailleurs, d’abord on traite les originaux de fous, ils persistent parfois par une assuétude que les psy n’ont pas décelée. Les fous sont regroupés dans des fichiers généralement tenus par les meilleures polices. Certains fous qui seraient susceptible de développer l’addiction au terrorisme sont préventivement internés. Mais c’est rare. Certaines intimidations suffisent. La police intervient rarement à ce stade. Ce sont des pressions amicales de la famille, des menaces ou des sanctions des propriétaires et des patrons. En général, l’original recouvre bientôt tous ses esprits dès qu’il sait que son attitude pourrait le conduire au chômage. Il prend une carte au PS qui rassure et on n’en parle plus.
Les terroristes sont incontrôlables et potentiellement dangereux. Ils sont insensibles au sentiment général du meilleur des mondes. Ils sont remplis de rage et de haine. Leur destruction est nécessaire.
Comme ils sont très peu nombreux, la nouvelle Société pour que le bon peuple ne relâche pas sa vigilance est obligée d’accuser des originaux jusque là inoffensifs. Certains pensent qu’il faut sauver la nouvelle société en incitant les terroristes à des carnages, quand les originaux ne suffisent pas à commettre des méfaits, heureusement qu’ils sont contrôlés préventivement et que tout est prévu pour leur neutralisation.
Il est possible que ces bruits exagérés sur le rôle de nos gardiens soient propagés par des originaux qui sont en passe de sombrer dans le terrorisme verbal et qui ne sont pas encore internés.
Régulièrement, le bon peuple se réunit pour chanter les louanges de la nouvelle société, ce qui contrebalance largement les petites défaillances qui montrent que nous avons encore des progrès à faire.
La Belgique, comme il se doit, est à la tête de la nouvelle société.
La population est bien représentée. Les lois sont excellentes et même si la population a perdu quelques paliers, elle est prête à se retrousser les manches et repartir hardiment de l’avant.
Vivent le roi, Leterme, le patronat, les partis, les taxes et la TVA.
Vivent la crise, les banques et les subprimes.
Vivent la nouvelle Société, les exploits sportifs et Vendée Globe.
Vivent le travail, Fortis banque, Dexia et Obama.
-Tiens, on sonne à la porte. Vous permettez que j'aille ouvrir, chers lecteurs ? Bonjour, Messieurs, que voulez-vous ?
-On vient pour vous interner !
-Qu'ai-je fait, je vous prie ?
-On ne sait pas. Mais on trouvera bien quelque chose...