Billet aux gens stupides
Les réunions à caractère philosophique s'abritent parfois dans d'étranges lieux, réceptacles particuliers entre l’envie de tailler une bavette et celle d’en savoir plus sur ce que les autres pensent d’un sujet proposé, quand ce n’est pas le but suprême d’y aller faire admirer son ego.
Nanti des trois défauts à la fois, c’est dire si je suis blindé sur l’art d’y aller perdre mon temps. J’y ai découvert ce qui, pour Michel Adam, restait désespérant dans l’absurdité, c’est qu’au départ, il y a le souci d’utiliser convenablement la raison (Essai sur la bêtise, La Table Ronde, 2004) et qu’à l’arrivée, oncques ne saurait dire où elle a fui. Probablement que certains touchent à la limite de leur possible, plus vite que d’autres ? Par pithiatisme, tout le monde en sort atteint.
Certains, sous prétexte de culture, minimisent la part de la politique et du social dans la réflexion philosophique, d’autres, encore plus assurés, jurent qu’elles n’ont rien à y faire ! Ce ne serait qu’une péripétie de plus, si cet atticisme n’était le résultat d’un travail de la pensée unique sur l’intellect des plus fragiles.
C’est ainsi que nous avons dans ces assemblées des êtres assez singuliers qui ne voient pas ce qu’ils sont, pour la simple raison qu’ils n’ont appris à défendre que ce qu’ils ne sont pas !
Qui ne serait d’accord, parmi les rescapés d’une philosophie acquise jour après jour par un effort personnel, de stigmatiser ceux dont l’Officiel à prémâché ce qu’ils ont à dire ?
Le philosophe Marcel Gauchet a bien raison de nous prévenir : « Nous sommes passés du régime idéologique de la folie au régime idéologique de la bêtise ! Le communisme rendait fou, mais le néolibéralisme rend stupide ! ». Intervenant lors d’une conférence à l’école des Hautes études en sciences sociales (Ehess) sur le thème « la crise financière : une approche politique », Marcel Gauchet est revenu sur la portée politique de la crise actuelle. Le philosophe se montre très sceptique sur les capacités de nos politiques à réguler la mondialisation.
Pour nos balbutiants, laudateurs sans le savoir de la pensée unique, il en est souvent de la sorte des flûtistes, comme en philosophie. Ils se placent à l’orchestre, et quand ils portent l’instrument à la bouche et qu’ils soufflent, on s’aperçoit qu’ils ne connaissent pas la musique ! Ce qui ne les empêche pas de poursuivre le concert, qu’ils rendent exécrable.
C’est aussi le cas des penseurs à la Rodin, l’enveloppe est de bronze, l’intérieur est creux.
Comment peut-on dissocier le politique et le social de la réflexion philosophique ?
C’est d’autant plus dramatique de soutenir pareille ineptie que le foisonnement des pensées et des hommes n’a jamais été aussi grand depuis la crise économique, et même bien avant, quand déjà le mauvais fonctionnement des démocraties occidentales rendait la réflexion critique inévitable, justement dans ce que nos béotiens abhorrent et récusent.
Vu sous l’angle axiologique, le questionnement n’a jamais été aussi permanent et aussi riche.
De quelque côté que l’on se tourne, des philosophes se dressent et ramassant l’honneur perdu des politiques, dénoncent les attitudes veules et montrent des voies nouvelles possibles.
Voulez-vous des exemples ?
Les moralistes n’ont rien perdu des élans généreux de Rousseau.
Michael Walzer (Sphères et Justice, Seuil 1997) dépeint la tyrannie de l’argent avec talent. Les penseur de la « common decency », comme les précédents avaient Rousseau, préfèrent Orwel. Parmi eux, Guillaume Leblanc (Vies ordinaires et vies précaires, Seuil 2007).
Dans un autre registre, la critique sociale condamne l’organisation actuelle de la Société, par rapport à Karl Marx, dont les adeptes exhument et rafraîchissent les écrits. Ils sont partagés entre les marxistes orthodoxes et les ultra démocrates. Alain Badiou (Le Siècle, Seuil 2005) et Daniel Bensaïd (Le Pari mélancolique 1997), d’une part et Etienne Balibar (Les frontières de la démocratie (1992, la Découverte), avec Jacques Rancière (La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005).
Ce serait remplir au quart à peine un nouveau Gymnase de Platon, si je ne citais pas les altermondialistes, Toni Negri et Michael Hardt (Empire, Collect. 10/18, 2004), Yan Moulier-Boutang (Le capitalisme Cognitif, Amsterdam 2007), Emmanuel Wallerstein (Le Système du monde du XVme siècle à nos jours, Flammarion, 2 vol., 1980-1985), Philippe Corcuff (Politique de l’individualisme. Entre sociologie et philosophie, Textuel 2005).
Rayon écologique, parmi les partisans de la décroissance, Serge Latouche (Le pari de la décroissance, Fayard, 2006.
Et les catastrophistes, ça vous dit ? Jean-Pierre Dupuy (Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002), Paul Virilio (Vitesse et Politique, Galilée, 1977).
J’arrête ici la série, sans avoir pourtant proposé les philosophes historiens du capitalisme, les Ethnologues, etc.
Evidemment si les Assis (selon Arthur Rimbaud) en quête d’en savoir plus restent bloqués sur Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut et Comte-Sponville, on se doute qu’ils ne pousseront pas leur soif de savoir jusqu’à Michel Onfray et resteront mordicus à leur philosophie restrictive et conformiste.
Parmi ce qui bouge et touche dans le mille, je citerai pour la bonne bouche, la philosophe Annie Le Brun dont je ne cesse de lire et relire son dernier essai « Du trop de réalité » paru chez Folio essais, Gallimard, 2004).
On ne peut qu’aimer Annie Le Brun pour sa liberté, son intransigeance, sa clairvoyance, bref, j’en suis devenu un fan. Annie, je t’aime. C’est tout dire…
A quand un café-philo Annie Le Brun ?
Commentaires
Cette conversation me rapelle quelque chose...
A propos, tu as vu ? J'ai changé l'habillage graphique de mon blog...
Postée le: Sophie H | janvier 31, 2009 04:28 PM
Tu as parfaitement raison, Richard! L'important, c'est d'ailleurs moins de choisir un repère déjà structuré qu'un modèle radical qui permettra de faire mouvoir le balancier dans le sens inverse. Il sera toujours temps de faire les règlages fins par après. Il n'y a pas de solutions toutes faites; mais si on attend de trouver le système idéal avant de bouger, il sera trop tard! L'heure de Zarathoustra est venue, pas celle du "dernier homme".
Postée le: michel | janvier 31, 2009 09:48 PM