L’optimisme aux urgences
Ce dimanche midi, RTL avait réuni le club des optimistes, formidablement bien remonté pour la joie et la bonne humeur, au contraire de son rival sur le plateau duquel on s’engueulait ferme à propos de FORTIS.
Vrebos s’était reconverti en Monsieur Loyal. Le cercle des optimistes pouvait entonner sa marche d’ouverture : l’entrée des gladiateurs.
La pinte de bon sang n’était pas garantie et s’il y eut des rires, ils furent furtifs et souvent au détriment de celui/celle qui se prenait trop au sérieux, et comme tous y sombrèrent…
Un certain Keuteneer, professeur, s’extasiait sur la satisfaction procurée par une journée de labeur, sans faire la distinction entre le travail réfléchi et le travail machinal. Le sieur Demunck s’emballait sur le renouveau qu’il voyait poindre dans les activités humaines. De Brabandere s’intitulant « philosophe d’entreprise » voyait dans une conscience nouvelle la responsabilité des adultes envers leurs enfants. L’étonnant Bongiorno, fort de la réussite de sa reconversion dans la restauration à la suite de la faillite de la SABENA, s’enthousiasmait du brillant de ses culs de marmite. Lelenfield avait la lentille grossissante sur les bienfaits de la pensée positive. Une certaine Agozzino, chômeuse et prête dès lundi à faire la tournée des patrons dans la joie et la bonne humeur, faisait plutôt pitié par l’inconscience qu’elle semblait montrer de la dramaturgie sociale qu’elle vivait sans s’en apercevoir, alors que les autres exultaient de satisfaction de leur position confortable..
Ce n’était pas une émission rigolote comme on pouvait le croire, mais sérieuse en diable, démontrant s’il en est encore besoin, la juste réflexion de Jules Renard dans son Journal : « L’homme heureux et optimiste est un imbécile. »
Et des imbéciles, il y en avait sur ce plateau chargé de nous démontrer, ce qu’on savait déjà, à savoir que tout est dans l’homme, sauf qu’il est nécessaire d’avoir sur le monde extérieur un regard juste et critique. Ce que n’avait pas l’étrange attelage réuni sur le plateau. D’où cette impression qu’il s’agissait moins d’optimistes véritables, que des menteurs non intentionnels, puisqu’ils s’abusaient d’abord avant d’abuser les autres.
Cette méthode Coué n’a du bon que si l’on n’en fait pas trop et surtout si on n’en fait pas une démonstration à la sirop Typhon, c’est-à-dire une panacée universelle pour neurasthénique contrarié.
Il s’agissait d’optimistes d’un genre particulier : ceux qui ne pouvant atteindre les valeurs qui permettent l’évaluation, se constituent un système personnel en rapport avec leur caractère.
Ainsi, ils se créeront un monde subjectif dans lequel ils n’auront plus à penser que tout n’est pas au mieux dans la meilleure des situations possibles.
L’optimiste, sans raison fondée, vit dans la facilité d’une immaturité prépondérante, les illusions d’apparence et la recherche des principes. Il s’aveugle et se complaît dans cet aveuglement. Le monde de l’illusion que procure sa vision rassurante, lui suffit.
Le pessimiste de raison est paradoxalement plus près de l’optimiste qu’on ne croit. Mais il est d’une autre nature. Il ne s’en laisse pas compter. Rien de ce que les optimistes annoncent comme une période heureuse ou malheureuse, ne le touche vraiment. Il a tout prévu et s’est prémuni de l’excès de malheur, comme de l’excès de bonheur.
Ses quarts d’heure d’intense rigolade n’ont rien à voir avec ceux d’un béat perpétuel. Ils sont authentiques.
Et en cela, le pessimiste rejoint l’optimisme de circonstance, sans pourtant se confondre avec lui.
Il n’a pas la gueule de l’emploi et il est tour à tour optimiste ou l’inverse selon les fluctuations de sa liberté et de son humeur confrontées aux circonstances.
On voit très bien quel est l’avantage en certains lieux de jouer les optimistes, dans la présentation d’un contrat d’embauche par exemple ; comme on comprend ce que le « philosophe d’entreprise » veut dire de la responsabilité qui commence par la sienne. Il ferait beau devant un employeur qu’il tînt un autre langage !
Pourra-t-on échapper un de ces dimanches aux stéréotypes et aux lieux communs avec lesquels nos deux télévisions nous servent l’apéritif ?
L’époque (formidable ?) vit la négation du malheur et même la négation de la mort. Une émission comme celle de RTL n’est pas si idiote qu’il n’y paraît. Elle montre le caractère quasi obligatoire de l’optimisme d’aujourd’hui pour ceux qui veulent s’intégrer dans la société marchande.
Alain en 1923, dans ses « Propos sur le bonheur », déniait toute réalité aux grandes souffrances.
La liste des malheurs à éradiquer est sans doute trop longue pour que les optimistes s’en préoccupent. C’est une façon de voir. Mais en ignorant tout, ils ne sont d’aucune utilité pour y remédier.
C’est sans doute en cela que les optimistes sont intéressants pour RTL.