Quel progrès pour l’homme ?
Les chercheurs devraient se mettre d’accord sur ce qu’on appellera le progrès après les années cruciales que nous vivons et qui, en ce sens, sont passionnantes, quand vers le milieu du siècle, nos petits enfants prendront le relais.
Si c’est travailler moins pour se divertir ou s’instruire en occupant ses loisirs dans des formations, des lectures, des voyages et des sports, c’est loupé, puisque le temps de travail a tendance à s’allonger. Ce qui est absurde, si l’on considère le nombre de chômeurs.
Si c’est pour s’équiper et utiliser des techniques de pointe dans la vie professionnelle, comme dans celle des loisirs, c’est tout à fait temporaire et aléatoire, puisque l’épuisement des gisements et des ressources naturelles, limitera dans l’avenir la consommation de masse.
Si c’est se trémousser en paréo sur des plages de sable fin, c’est fichu, puisque le chômage s’accroît et que les oisifs forcés n’auront pas les moyens de partir en croisière.
Si c’est devenir riche et jouir de tout, le plus grand nombre n’y pense qu’au boulot !
Alors, qu’est-ce que le progrès possible ? Celui qui demain, sera peut être le nôtre ?
Dans des temps anciens, des civilisations tiraient l’essentiel de leur raison d’être dans leur satisfaction de n’être pas en esclavage et au service des nations dominatrices.
Il était toujours temps de s’apercevoir qu’un remède réputé ne servait pas à grand chose, quand l’essence d’une plante nouvelle remplaçait efficacement l’ancienne.
Certains philosophes du siècle de Périclès pensaient que la technique au service de l’art de vivre était à son apogée. Il est vrai que l’esclavage dispensait les citoyens de tout effort.
Quatre siècles et demi plus tard, Sénèque montrait à Néron, son élève, les dangers de la vie « moderne » dans une Rome en proie à l’affadissement des mœurs par l’abus des plaisirs et les excès.
Depuis, les propos des philosophes n’ont été qu’une longue suite de plaintes contre le progrès, que Théodule Ribot, père de la psychologie, appelle « aliénation » au 19me s.
A en croire Platon, la clientèle en aurait été réduite à vivre d’eau et coucher sur la paille, si elle avait entendu vivre simplement, donc sainement.
Même d’Alembert et les encyclopédistes eurent des sentiments variés sur les bénéfices à tirer des progrès techniques.
Dès le XVme siècle, l’effroi des perfectionnements que l’usage de la poudre avait fait faire aux armements, saisit le monde sensible.
L’invention de Gutenberg plongea le Saint Père dans le doute. Il ne capitula qu’à l’intérêt qui le convainquit de propager plus rapidement la bonne parole.
Depuis qu’on étudie dans les universités les grands systèmes de pensée, la vie intellectuelle intense et profitable d’Aristote à Montesquieu semblait largement suffisante en leur temps à l’entendement des hommes.
Le point de rupture entre la foi et le progrès se trouve quelque part dans les cinquante années du début du Quattrocento de la Première Renaissance, lorsqu’il fut démontré à Florence que les sens pouvaient s’épanouir au monde.
La véritable révolution libératrice qui s’en suivit n’a pas fini de produire ses effets de nos jours. L’homme fait coïncider la connaissance livresque à la connaissance par l’expérience, ce qui le tourne définitivement vers un savoir qui sans le principe des lois de la physique n’est pas grand chose. L’abstraction, donc la philosophie et les sciences de l’esprit, n’est qu’une attitude de doute sans l’étude des objets.
En passant du géocentrisme dogmatique à l’héliocentrisme, Copernic lui-même n’avait pas eu l’intention d’impliquer à sa connaissance, comme le fit Foucault avec son pendule, le monde dans lequel il était et encore moins d’avancer le premier pion d’un jeu entre l‘homme et l’espace.
Mais il ouvrait le champ d’une hypothèse selon laquelle l’homme était condamné à chercher et à trouver une réponse qui ne le satisfait qu’à demi, à seule fin de chercher de plus belle.
Le progrès n’a donc de sens que dans la connaissance et sa pratique. Nous sommes condamnés au progrès, mais pas à celui que nos sociétés futiles nous donnent à croire dans les applications des sciences au service des marchés, mais dans les véritables questions qui sont posées depuis Aristote qui ont trait à l’origine des hommes et au devenir de l’humanité ; quand bien même, elles ne trouveraient pas de réponse.
L’effarement des gens de pouvoir quand on leur parle de la sorte est celui que devait ressentir le pape Nicolas V quand il eut dans les mains une des premières bibles imprimées de Gutenberg.
Obnubilés par la crise et comment en sortir, ils ne parlent que de relance de la machine capitaliste. Ils sont tellement convaincus que le monde, tel qu’ils se l’imaginent, existe, qu’ils ne voient pas qu’ils parlent de quelque chose qui n’existe plus, au mieux, et peut-être, au pire, qui n’a jamais existé.