That is where we’ve got to.
Evacué dans un mouroir (hôpital spécialisé pour fin de vie), puis dans un funérarium avant d’être réduit en cendres fines au crématorium, l’homme moderne passe sans transition du jeunisme, à l’état de chose encombrante, qu’il est indécent d’exhiber et onéreux à faire disparaître.
Sans l’opportunité d’effacer son passé pour l’épilogue, il risque de laisser un trouble s’installer dans la mémoire des héritiers, après la réalisation de ses comptes, surtout si ceux-ci sont en actions FORTIS !
Samuel Butler, en 1872, avec la parution de son livre « Erehwon » ou « De l’autre côté des montagnes », réédité par la NRF en 1920, avait vu juste cent trente cinq ans avant nous.
Il avait imaginé Erehwon (anagramme de nowhere), une Ville-État où ce qui est décadence, abandon, maladie est puni comme un crime et ce qui est actions douces ou violentes dans un but de profit est perçu comme un bien.
Exemples : si un homme tombe malade et s’affaiblit avant soixante-dix ans, il comparaît devant un jury. Coupable, il est convaincu d’infamie et condamné selon les cas. Les maladies sont des crimes et des délits. On est puni sévèrement pour une maladie grave, tandis que l’affaiblissement de la vue ou de l’ouïe, quand on a plus de soixante-cinq ans, est passible d’une amende.
Par contre si un homme contrefait un chèque, vole avec effraction, ou met le feu à sa maison afin de toucher l’assurance, on le considère comme curable, il est soigné à l’hôpital.
Evidemment, s’il a des relations et s’il a voulu simplement augmenter sa fortune, comme c’est le cas de nos jours des banquiers escrocs et des bénéficiaires aux parachutes dorés, il fait savoir qu’il a été pris d’un violent accès d’immoralité. Les parents et connaissances lui rendent visite pleins de sollicitude, s’inquiètent de l’évolution de sa maladie, et offrent quelques gâteries du genre pralines et fruits hors saison.
Nous avons des cas de rémission judiciaire en Belgique qui loin d’affecter « la victime » l’a au contraire propulsée vers une nouvelle carrière, surtout en politique. C’est le cas de quelques fripons célèbres dont l’actualité n’est pas en reste.
Cette fable est une belle anticipation de ce que le XXme s. et le début du XXIme s. ont confirmé. Parallèlement, s’accomplissaient des progrès décisifs dans la négation du malheur et l’interdit de la mort.
Quelques célèbres voyous, du Zwin à Madoff, de Kenneth Lay d’Eron et les dirigeants d’Indymacbank à Freddie Mac et Fannie Mae émerveillent nos conquérants qui espèrent peaufiner les techniques et ne pas se faire prendre, comme le trader français Jérôme Kerviel !
Que fait l’Europe pour que les USA admettent leur responsabilité dans le désastre mondial et dédommagent les victimes ? N’ont-ils pas été les démarcheurs du système capitaliste ?
Rien, bien entendu.
Que sont devenues les promesses de Sarkozy de moraliser le système, quand il était à la présidence de l’Europe ? Elles ont disparu.
Comparez les propos tenus sur la nature de la crise actuelle, par rapport à ceux de 29, crise qui semble aujourd'hui d’une moindre ampleur, quoique on en ait dit, en regard de l'universalité de la nôtre.
Lisez les ouvrages de Baudrillard et Lipovetsky sur la consommation actuelle qu’ils estiment essentiellement ostentatoire, et Lorenz sur l’état que crée la mode en tant que méthode la plus efficace de manipuler les grandes collectivités humaines ; et vous aurez le sentiment que d’Alcibiade le Grec à nos éternels esthètes milliardaires, le culte de la beauté est devenu inconditionnel et universel, en même temps que Butler tourne en dérision l’art de paraître, comme absolument bien adapté à la société libérale de consommation.
Alain, dans ses propos sur le bonheur, ne veut pas dire autre chose. Le malheur, c’est qu’il le dit maladroitement. A moins qu’il ait mal lu Epicure, et qu’il se serait accommodé de la société de 1920 sans réfléchir aux tares déjà visibles du capitalisme dont le développement allait déboucher sur la catastrophe de 2009.
Notre temps s’est emparé des catalogues non pas pour en développer les articles, mais pour en décrire les "incongruités" : la maladie, la pauvreté, la souffrance, la mort, sans apporter les remèdes, tout en laissant supposer dans les discours, surtout sociaux-démocrates, la volonté de les éradiquer.
N’y parvenant pas, il les ignore et croit ainsi les supprimer.
Mieux, en évitant le piège de la dramatisation, les dirigeants en ont fait des réussites commerciales. La publicité actuelle des assurances pour frais d’obsèques ou la pommade qui rend toute l’élasticité du genou d’une fausse vieille que je verrais bien dans mon lit, est parlante à plus d’un titre.
La folie consumériste ira-t-elle, jusqu’à remettre en pratique les mœurs d’Erehwon ?
L’absence de sanction vis-à-vis de ceux qui ont conduit la Société capitaliste là où elle est, nous fait craindre le pire.
Il y a désormais deux façons de considérer le vol et l’escroquerie et même l’assassinat, deux manières de vivre et de mourir ; mais il n’y en a qu’une au sujet de la richesse et de la beauté, puisque pauvreté, difformité, maladie, mort, sont définitivement du côté des perdants et niées.