La tension monte.
A part quelques bourgeois rancis, des patrons heureux et quelques gros fraudeurs, clientèle assidue des banques, le gros du public des Agences bancaires s’est gonflé des refaits de Lehmann and C°, des escroqués du système Madoff relayé par le gérant de la banque du coin, des actionnaires floués de FORTIS et de la masse d’inquiets qui se demandent s’ils ne vont pas récupérer leurs avoirs pour les placer dans des bas de laine.
Cela crée une ambiance délétère et ce sont les derniers survivants de la race des employés de guichet en voie de disparition qui ramassent tout dans les gencives, comme s’ils en pouvaient.
Victimes eux-mêmes des escrocs qui les chapeautent, assis sur des sièges éjectables, mal rétribués, conscients de la déliquescence du système libéral, les voilà accusés du pire en qualité de complices des dévoyés des directions générales, presque responsables des tromperies sur la marchandise. Pour peu, on les accuserait de plier les parachutes dorés des aigrefins dans la salle des coffres avant le décollage du sauve-qui-peut.
Les injures et les insultes vont leur train, quand sont épuisées les réserves de sarcasmes et de borborygmes du client à bout de nerfs.
La banque, personne ne s’en était avisé avant, est un commerce qui dégage un bénéfice en spéculant sur et avec votre argent, qui prête souvent aux pauvres à des taux usuraires et donne aux riches l’occasion de placements jadis avantageux.
Cela a été de tous temps.
Comment les gens ne s’en sont-ils aperçus que maintenant ?
Pourquoi ont-ils mordu dans tous les dépliants luxueux, les offres mirobolantes, sans se méfier qu’on n’en voulait qu’à leur pognon, toute l’astuce étant de leur en piquer le plus possible sans scandale !
L’épargnant n’a pas de mémoire, le familier des guichets encore moins.
Souvenez-vous, avant que l’Etat ne prête la main comme il l’a fait ces temps-ci à récompenser des malfaiteurs, il a poussé le citoyen dès les années 60 à la prise d’un compte bancaire, jusqu’à le rendre obligatoire. Au départ, la gestion était entièrement gratuite. L’argument massue après celui du progrès, il fallait se garantir des agressions de la truanderie. Ce qu’on ne savait pas, c’est que les truands étaient aussi à l’intérieur.
Aujourd’hui non seulement chaque opération bancaire est facturée et parfois dans les grandes largeurs, mais en plus la pratique est devenue incontournable. Dans la plupart des professions, les administrations, que ce soit en matière de factures d’énergie, de mutuelle et d’assurance, il est impossible de résister et de n’avoir aucune carte de banque, aucun compte, sans bancontact et toutes les « facilités » capitalistes.
De glissement en glissement, on arrive au crédit revolving, aux cartes « client » des grandes surfaces «achetez aujourd’hui, payez à la fin du mois » véritable prise à la gorge des usagers, avec, malgré les dénégations, des intérêts d’usure, et en sous-main, les conseils des banques, finançant elles-mêmes les rouages fins de l’exploitation ordinaire.
Et personne ne se serait aperçu, à force d’en vouloir toujours plus, que le système allait lâcher ?
Si les employés de guichet n’apportent plus leur sourire avec leur compétence aux visiteurs, c’est que la situation ne prête plus à la diffusion du slogan « au service de la clientèle ».
Un autre staff de malheureux au casse-pipe regroupent les employés de base du FOREm et de l’ONEm.
L’arrivée de 90.000 chômeurs supplémentaires en début d'année a fait monter la fièvre guichetière et réduit à néant les placements et les dialogues avec les entreprises de moins en moins embaucheuses. Si bien que la machine tourne à vide, ne résout plus rien, sauf faire pleuvoir les sanctions sur les « professionnels » de la carte de pointage et multiplier les stages qui ne débouchent sur aucun emploi.
Par contre les rapports entre les sans emploi et les employés se sont tendus au point que les faits-divers auront un jour à dénombrer des morts dans cette morgue du désespoir.
Pourtant, les employés n’y sont pour rien.
Ils ne pondent pas les circulaires. Ils doivent seulement les respecter, s’ils ne veulent pas grossir les files d’attente eux-mêmes.
L’insensibilité et l’animosité dans lesquelles certains employés vicieux ou sadiques sont tombés, irritent les convoqués. Les pires parmi ces employés sont ceux qui croient encore aux salades qu’ils débitent. La grande majorité, heureusement, n’est pas ainsi. Si les personnels subissent la crise à l’aise le cul à côté du chauffage central et le thermos dans le tiroir, ils n’en sont pas moins les victimes aussi de cette colère montante d’une population qui ne sait plus où aller gagner sa vie, qu’on promène d’un guichet à l’autre et qui risque à chaque fois une pénalisation proposée par un préposé dans son exercice quotidien de l’application des lois.
C’est tout un ensemble des petits métiers et des petits usagers qui s’effondre. L’ambiance délétère provoque la détérioration de la santé mentale dans les services. Fragilisés, certains employés trop exposés craquent, d’autres ont recours aux psychotropes, ou tombent en dépression.
Ce sont les prémices d’une désobéissance civile et d’une désorganisation redoutable des systèmes de paiement et de gouvernance qui, une fois dépassés, peuvent aboutir à des mouvements de foule incontrôlable à caractère insurrectionnel.
Une observation inquiétante en Belgique, il n’y a pas de grands mouvements de grève, des marches des mécontents, comme en France. L’observateur conclurait qu’en Belgique le bon sens et la passivité triomphent de tout. Il se tromperait lourdement. Plus les rapports tendus entre les citoyens conduisent à des impasses de non-dit, plus la tension intérieure monte. La grève a rarement débouché sur une révolution, le ras le bol général si !