Quand le corbeau croasse.
La lettre anonyme est une spécialité dont on se passerait volontiers, mais le Belge centriste et malade de son insignifiance en est si friand et paraît y être tellement attaché, que ce n’est pas demain que s’arrêtera son plaisir dans sa reconquête d’être quelqu’un !
Déjà entre 40 et 45, il s’était donné à cœur de parfaire ce genre d’écriture, si bien que les Kommandantur ne savaient plus où donner de la tête, suite à l’ouverture du courrier. La profusion, c’est ce qui sauva quelques Résistants, faut-il le dire ?
Soixante ans plus tard, la ferveur dénonciatrice ne s’est pas démentie.
En France un ministre engage le citoyen à dénoncer un étranger en séjour illégal et mieux encore, celles et ceux qui seraient en infraction en lui offrant du pain ou un abri.
C’est ce qui s’appelle un encouragement venu du haut pour une besogne du bas, élevée au rang de vertu patriotique.
Les temps mènent l’ouaille bien pensante à un Centre apeuré. Le héros moderne est pusillanime et croit dur comme fer que la crise capitaliste, c’est un sale coup des Rouges ! Qu’est-ce qu’un « patriote » ferait pour ne pas quitter des yeux ses pantoufles, sa télé et sa femme, ? Il se défend contre l’ennemi. Quel est-il ? Celui qui ne pense pas, qui ne vit pas, qui ne réagit pas comme lui.
Cela fait beaucoup de monde.
Evidemment pas que le Centriste apeuré qui écrit beaucoup. Il y a aux extrêmes des gens que démangent aussi l’écriture de la main gauche, l’enveloppe achetée avec des gants et le timbre que l’on humecte avec la langue du chien.
La Justice n’est pas en reste avec les témoignages sous X. On ignore toujours quel est le témoin mystère dans l’affaire Cools. Il doit s’en passer de belles dans les commissariats sur les déclarations spontanées de témoins qui dès qu’ils sont assurés d’être sous X en remettent des louches.
Les temps s’y prêtent. Ce qu’on n’ose plus dire ou signer devant tout le monde croît au fil des nouveaux interdits. Des têtes qui ne reviennent pas dans le trombinoscope politique, dans la dynastie et même dans le voisinage font l’objet de tous les soins des corbeaunautes et des refoulés de la société de cons, sommations règlementaires comprises.
L’automobile, sa convoitise et sa conduite produisent en plus du délit de fuite, beaucoup de vocations. La médisance classique derrière les rideaux s’arme désormais d’un calepin et d’un crayon, histoire de noter le numéro minéralogique de la voiture qui a mordu la ligne continue en face de chez soi.
Internet dans le genre de langue de pute anonyme a déjà troué le plafond du pseudonyme et de c’est pas moi, c’est l’autre. On n’est pas encore arrivé au bout des possibilités des artistes du trompe-l’œil.
Le sanglot anonyme, la dangerosité refoulée, le pédo qui cherche de la fillette mais ne voudrait pas glisser sa carte de banque dans la fente illicite, le voyeur militant, la petite qui se néglige et qui veut absolument passer sa bande comme celle de Camilla sur le phone de Charles, il y a mille et une manières de passer inaperçu, tout en exposant ses fesses.
Bref la « belle âme » est à la hausse et en dit long sur l’état de notre société.
Deux brèves de l’actualité remettent le couvert.
VTM est devenu l’agent de liaison involontaire pour lettre anonyme menaçant des gens importants. Mettez-vous à la place du corbeau, la gentry n’a pas de domicile connu, le téléphone privé n’est pas dans l’annuaire, comment voulez-vous qu’on soit franc de collier, pour adresser directement ses petites lâchetés aux intéressés ?
C’est ce qu’a pensé un corbeau gantois en expédiant une menace de mort à VTM pour faire suivre au ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht.
Ici l’épistolier ne moucharde personne. Il se contente de proférer des menaces qui ne lui coûtent qu’un timbre, à un personnage de l’Etat. Il s’expose à être l’objet d’une enquête et non plus à être félicité dans le cas de la lettre dénonçant un « voleur » du fisc au fisc.
Comment prendre la chose ? D’habitude les vrais criminels ne disent pas qu’ils vont agir, donc il s’agit d’un maniaque de l’écrit qui serait fort embarrassé s’il devait mettre sa menace à exécution. Mais, sait-on jamais. On a vu par le passé des tracassés de l’écriture qui passaient à l’acte parce qu’on n’avait pas pris avec sérieux des menaces qui au départ ne l’étaient pas.
Allez savoir avec les fous ?
Et comme il s’agit d’un ministre, nous sommes bons pour la note de frais de l’enquête.
L’autre épistolier anonyme a eu encore plus d’ambition, puisqu’il menaçait une personne de la famille royale, en l’occurrence la reine Fabiola.
Le cas est ici plus complexe parce que le suspect a été dénoncé à la police par un policier.
La réaction fut encore plus rapide que celle de Gand.
Que le gros du public ne se réjouisse pas trop. La police ne réagirait pas si vite avec vous. On a même vu dans certains cas malgré les menaces et des voies de fait, qui laisseraient supposer que la suite serait bien pire. La protection demandée n’est jamais venue ; alors qu’il ne s’agissait pas d’une lettre anonyme, mais d’un quidam dont la victime pouvait redouter un tabassage.
Evidemment pour la reine, puisqu’on avait une dénonciation, on a bondi.
Hier soir, le suspect a toutefois été relâché, nous communiquent les gazettes !
C’était donc une fausse piste.
Aux dernières nouvelles, le policier dénonciateur n’a pas été arrêté.
Comme quoi, il y a corbeau et corbeau !...