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La roue d’Ixion.

-Comment en êtes-vous arrivé là ?
-Comme Jarry, je chausse du 36. Cela m’oblige à me fournir en chaussures au rayon des dames.
-Cela n’explique pas tout.
-En dehors de cette anomalie, je suis un homme tellement ordinaire que cela en devient extraordinaire.
-Le surmâle du dénommé Alfred ?
-La comparaison s’arrête là. Pour le reste, j’adore être pris pour ce que je ne suis pas.
-Un écrivain ?
-Cela va sans dire.
-Pourtant vous avez écrit beaucoup !
-Recopier les pages du bottin ou faire le compte-rendu d’une séance du Conseil communal ne peut pas signifier que l’on est un écrivain. J’aurais aimé faire « poète maudit » du sexe…
-Un surdoué de l’amour ?
-Les 3.412 femmes qui ont fréquenté mon lit vous le diront « C’est un homme impuissant, mais qui fait très bien l’amour ».
-L’absence d’éjaculation vous permet de vous consacrer pleinement à votre partenaire sans limitation de durée.
-C’est exactement cela. Vous en parlez si bien que l’on jurerait que vous en avez fait l’expérience ?
-Et en dehors de l’écriture et de l’amour, que n’êtes-vous pas encore ?
-Un citoyen heureux.
-C’est-à-dire que vous êtes malheureux ?
-Ni l’un ni l’autre. C’est le hasard qui m’a fait naître ici. J’ai le sentiment que j’aurais dû être né ailleurs, de sorte que me plaignant de ce hasard malheureux, j’eusse pensé que j’aurais été plus heureux d’être né ici.
-Mais vous êtes né ici ! De quoi vous plaignez-vous ?
-Je m’efforce d’être heureux par l’imaginaire, à défaut de l’être dans la réalité. C’est toujours mieux ailleurs qu’à l’endroit où nous sommes, pense-t-on le plus souvent. Il doit en être de même pour tout cerveau humain. Ainsi nous trouvons des excuses à notre incapacité d’être heureux.
-Vous êtes marié ?
-Parmi les 3.142 qui ont couru le risque, quelques-unes l’ont expérimenté à leurs dépens.
-Et alors ?
-J’ai tout naturellement fait leur malheur, puisqu’elles faisaient le mien.

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-Délibérément ?
-On fait toujours le malheur de celles qui pensent que le bonheur est dans l’autre, alors qu’il n’est jamais qu’en soi. Et comme elles pensent toutes cela…
-Comment vous en êtes-vous séparé ?
-La dernière fois que j’ai assassiné l’une d’entre elles, ce le fut de façon délibérée.
-Quoi, vous êtes allé jusque là ?
-C’était elle ou moi.
-Vous vous aimez donc beaucoup !
-Il n’y a que les autres qui peuvent le savoir. Or, il n’y a pas un seul porteur de jugement sur autrui qui souhaiterait dire le contraire. Tous les hommes s’aiment trop pense-t-on, en comparaison de ce que l’on croit de soi-même sur la question, qui est, en général, que nous ne nous aimerions jamais assez.
-Et qu’avez-vous fait du corps ?
-Quel corps ?
-De la femme que vous avez assassinée ?
-Elle s’est vengée, en me traînant au tribunal afin de réclamer le divorce à son avantage.
-Pour harcèlement ?
-Non. Pour violence.
-Vous étiez violent ?
-Non, c’est le greffier, qui vit en elle la femme insatiable dont il rêvait toutes les nuits dans ses fantasmes. Il lui conseilla de faire une fausse déposition afin d’indisposer le juge à mon égard.
-Comment assassinez-vous les femmes, sans qu’elles le sachent ?
-Cri-d’Amour restait des heures entières à se savonner après son plaisir qui était de me tromper avec plus vil, plus vieux, plus sale que moi, afin de me rabaisser et de satisfaire en elle sa perversion qui était l’amour de la saleté.
-Logique.
-Or, elle avait beau se récurer après ses aventures, elle sentait la merde.
-C’est affreux.
-Je la prévins que cette odeur avait quelque chose de nitreux.
-Elle proposa à ses amants d’utiliser le savon de Marseille ?
-Non. Elle eut quelques jours d’abstinence à la suite d’une panne d’Internet. Elle ne put donc s’approvisionner en pouilleux sur les sites de rencontre.
-Elle recouvra, peu à peu, la fragrance de ses vernis et de ses parfums ?
-Hélas ! Elle sentait toujours la merde. Ce que je vérifiai lors de certains exercices où l’hygiène est importante.
-Vous le lui avez dit ?
-… que ce n’était pas de ses amants sales et repoussants que sourdait sa pestilence, mais d’elle, oui, bien sûr !
-Je comprends ce que vous appelez « assassiner ».
-Oui, c’est pire que la mort.
-Et pour la vôtre que souhaitez-vous ?
-Qu’elle ait lieu sans ma présence.
-C’est impossible !
-Je ne vous le fais pas dire.

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