« Barroso, le caméléon. | Accueil | Richard au 90 F »

Le fait social.

Simone ! si tu voyais ça… (1)
La vie ne serait qu’une valeur marchande que proposent ceux qui n’ont rien à ceux qui ont tout. Et que pourraient-ils faire d’autre ?
A chacun de se débrouiller pour passer du subalterne à la situation haute. Quoi que l’on fasse, les uns et les autres ne changeront rien à la société. Bref, il n’y aurait que l’individu qui peut évoluer dans l’espace commercial de la liberté d’entreprendre.
C’est résumé en peu de mots, le système économique et social dans lequel nous sommes.
Et parmi les « animateurs » de la situation haute, l’esprit de corps insuffle à la dynamique deux stimuli : le premier consiste à sous-payer les couches subalternes en déconsidérant au maximum les tâches manuelles et surpayer les couches supérieures. Ceci afin de maintenir les plus pauvres dans un état de besoin, donc de dépendance ; le second fait respecter l’individu « qui a réussi » en lui délégant une parcelle d’autorité.
Comme il faut très peu d’individus de cette seconde catégorie, des petites lucarnes d’opportunité sont aménagées : des études longues, des travailleurs qui en veulent. Quelques-uns ont la baraka. C’est tout le cortège des passe-droit, des pistons, des héritiers et des fils de.
C’est propre. C’est bien fait. Ça marche tout seul. C’est libéral.
Tout au plus entend-on quelques voix différentes au concert général. Au slogan « Travailler plus » s’oppose « travailler autrement ».
Comment dissiper le mensonge permanent de ce que Noam Chomsky appelle un fascisme bénin ?
Toutes les entreprises glorifiant le travail ont échoué. Non pas dans la lecture officielle et dans le bien-dire des parvenus ; mais, sur le terrain même des entreprises, surtout en temps de crise, évidemment.
Cela tient à ce que Roland Barthes entend par langage : « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire… ».
Qui oserait aujourd’hui, parmi les esclaves industriels, un autre langage que celui dans lequel la nature de l’esclavage oblige à dire ?
Que nous réserve l’avenir avec cette glorification constante du travail par ceux qui n’ont jamais travaillé à fond de cale ? Sommes-nous arrivés au moment du grand mensonge, quand deux entités distinctes deux classes hostiles aux intérêts contradictoires iront bientôt à l’affrontement ?
La gauche au pouvoir s’est attachée à découvrir, dans le libéralisme absolu, des vertus qui n’existent pas. Elle a retardé l’événement fatal par des mots. Il est temps qu’elle le retarde par l’action pour une nouvelle justice sociale.
La faiblesse qu’elle montre à tous est le résultat de l’option qu’elle a prise pour le mauvais camp.
En immersion dans la culture techno-bourgeoise, elle est sans cesse récupérée par le discours libéral, discours si plat, en définitive. « Elle perd pied et ses bons amis des médias – joueurs, amuseurs, frondeurs, esthètes – l’enfoncent avec délices dans les eaux marécageuses. » (Jean Bothorel)
Nous sommes dans une société sans plan, dénoncée dans l’entre deux guerres par Bernanos. Alors que la crise pouvait faire craindre pour les gens du dessus une révolte des gens du dessous, il n’y aura rien à signaler, les classes populaires n’ont jamais vraiment été représentées.

vic3.JPG

Comme l’histoire tend à être vue d’en haut, les quelques plaintes, cris isolés, morts discrètes, d’une multitude ne seront pas écrits nulle part, ou si peu… comme la Révolte de la Commune de Paris de 1871, si mal connue, si peu présente dans les manuels scolaires.
Nous sommes à la veille de toucher aux trois conditions décrites par Durkheim pour que ces faits dispersés deviennent « Le fait social ».
Dans une de ses lettres à Ernest Chevalier, Flaubert résume sa situation qui est celle de l’intermédiaire classique entre le pouvoir supérieur et le devoir inférieur : « Il me reste encore les grands chemins, les voies toutes faites, les habits à vendre, les places, mille trous qu’on bouche avec des imbéciles. Je serai donc bouche-trou dans la société, j’y remplirai ma place. Je serai un honnête homme, comme il faut, comme tous, un avocat, un médecin, un sous-préfet, un notaire, un avoué, un juge tel quel, une stupidité comme toutes les stupidités, un homme du monde ou de cabinet, ce qui est encore plus bête. ».
Le discours prônant la disparition du travail s’éteint au milieu des années nonante. La technologie et la perfection des machines allaient vider les ateliers et les bureaux, laissant à chacun la liberté de faire ou de ne rien faire, dans nos vies vouées à l’associatif.
Quinze ans plus tard, c’est la déconvenue. Dans un joli raccourci l’hebdomadaire Marianne fait passer le salariat au « précariat ».
On ne travaille plus, ou presque, et le travailleur assiste inquiet à l’émiettement de son gagne-pain. L’illusion s’en est allée, remplacée par la crise et la volonté maintenant reconnue du néolibéralisme d’une « pleine activité précaire », mais pour plus tard, après le crise, lorsque les couches supérieures auront estimé qu’elle est terminée, et qu’elle n’aura plus de pleins effets que sur les gens du dessous.
Les voyous d’en haut sont pires que les voyous d’en bas. Ceux des rues n’attentent qu’à quelques personnes et quelques biens à la fois. Ceux d’en haut, assassinent une population entière en faisant mine de la sauver.
C’est Chamfort qui aura le dernier mot : « Il est malheureux pour les hommes, heureux peut-être pour les tyrans, que les pauvres et les malheureux n’aient pas l’instinct ou la fierté de l’éléphant qui ne se reproduit point dans la servitude. »
----
1. Simone Weil (1909-1943), philosophe visionnaire.

Poster un commentaire