Moonwalk serenade…
Il y a des people malchanceux. A-t-on idée de choisir le jour de la disparition de Michael Jackson pour décéder, alors qu’on a soi-même tenu la rampe de la gloire, au point qu’en 1976, Farah Fawcett vendait 12 millions de posters vêtue de son seul maillot de bain ?
Cette comédie de l’absence, que jouent les admirateurs, parviendra-t-elle à faire le lien avec le répertoire de l’époque suivante pleine d’incertitude ?
Est-ce voulu cette course à l’insignifiance ? Sommes-nous destinés à ne nous enthousiasmer que de non-événements ?
Notre siècle n’est comparable à aucune autre.
Nous sommes attirés par le trop-plein de certaines existences pour remplir le vide de la nôtre, jamais pourtant l’aspiration à vivre autre chose n’a été aussi puissante et générale.
Est-ce pour nous distraire du temps que nous consacrons à notre servage industriel que nous nous incarnons dans ces existences magnifiées par les médias, au point que des familles entières s’émotionnent et versent des larmes au décès d’un certain adulte qui se vivait enfant à près de cinquante ans, qui s’était construit blanc, alors qu’il était noir et dont les nombreuses prothèses sous prétexte d’esthétique, avaient fait de lui un objet de curiosité.
Nous nous désespérons de n’avoir pas de temps à nous, alors que nous galvaudons de précieux instants à nous ébaubir de pauvres diables qu’une habile publicité transforme en événement mondial !
L’urgence est au cœur de notre conditionnement. Nous sommes pressés. Sur la lancée d’un travail qui n’exige rien que de la rapidité dans la répétitivité du geste, croirait-on qu’au sortir des machines à produire, nous gardions l’habitude prise de courir encore et de ne nous arrêter jamais !
A gaspiller nos instants libres à des engouements puérils, nous sommes experts. Bambi en témoigne. Nous en aura-t-il soustrait du temps de notre jeunesse, alors que si l’on écarte de la vie le temps de l’apprentissage, puis de la sénilité, entre maladies, sommeil et souffrances diverses, il ne reste pas grand chose pour l’éveil de l’esprit… sauf celui au cours duquel nous avions à nous plaindre dans les rares instants où nous étions en bonne santé. Au sommet de l’intérêt, nous avions le moonwalk, ce back-slide inventé par d’autres et notamment le mime Marceau. Nous qui n’avions de notre vie vu un seul ballet classique, nous n’en revenions pas de l’art de marcher sans avancer !...
Rousseau parle d’espace mal rempli, à propos du temps que la nature nous dispense.
L’étrange est notre acquiescement à l’emballement social, aux exhortations de la FEB à nous voir plus assidus, plus empressés, plus adaptés à des courses de plus en plus longues, de moins en moins payantes.
Plus personne ne lit Sénèque et ne saurait méditer à « La brièveté de la vie ». Sait-on encore que Paul Lafargue écrivit un éloge à la paresse ?
Michaël Jackson, l’androïde, scella notre destin avec Thriller, son album aux 750 millions de copies vendues.
Sommes-nous irrécupérables, la gorge se serre en voyant Madonna pleurer en direct depuis un studio de la BBC, Elisabeth Taylor rejoue sa scène d’une chatte sur le toit brûlant et Lisa Minelli, sur une chaîne française, peine à retenir ses fards qui se craquellent comme un sol victime de l’érosion.
Serait-ce que cette émotion bien orchestrée maintienne notre vie dans la norme bourgeoise qui a besoin que l’on ne pense pas en profondeur ?
Il y aurait donc quelque part dans les coulisses du pouvoir un donneur d’ordres secrets qui disposerait d’un calendrier des morts opportuns à exploiter, qu’une équipe se chargerait de faire disparaître régulièrement afin de maintenir notre attention d’un mois à l’autre ?
Et dès lors, la mort de Farah Fawcett à un mauvais moment serait due à une bavure de ses services ?