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Une lecture de Pierre Bayle.

Pierre Bayle (1647-1706) fut un esprit curieux dont nous avons encore à apprendre beaucoup de son Dictionnaire historique. Son œuvre qui avait l’ambition de relever les erreurs des Dictionnaires précédents, pourrait très bien encore relever les nôtres..
Protestant, puis converti au catholicisme pour retourner à sa religion initiale, Bayle n’est pas une girouette, ni un apostat, c’est avant tout une vaste intelligence scrupuleuse. On dit qu’il préfigure Diderot et d’Alembert, et que Voltaire fit plusieurs fois son éloge.
Faussement errante, la pensée de Bayle nous met en garde contre une vision manichéenne du monde. Elle nous représente nos opinions et les opinions d’autrui souvent en contradiction, en même temps, elle nous suggère un dialogue d’échange des points de vue.
Ce ne serait pas suffisant pour vous tenir par la manche avec ce qui précède, s’il n’y avait la critique d’un esprit répandu en 2009, qui vise à oublier trop vite l’histoire de nos abominations, qui colle aussi bien au siècle de Louis XIV, qu’à celui du XXIme siècle.
Cette permanence d’une époque à l’autre, c’est Bayle qui la détermine « Il n’y a presque point de vice qui ait plus régné dans le genre humain que la haine que les hommes se portent les uns aux autres ».
Notre système économique n’illustre-t-il pas les propos du Dictionnaire par l’absolue guerre qu’il suscite entre les hommes, qu’ils soient au travail ou en train de jouir du travail des autres ?
Débattant de l’éternelle question de Dieu (1), l’homme y abandonne sa nature inquiète et curieuse, mais Bayle et Pascal ne s’entendent pas sur le chemin qu’il prend.
Pascal pense que l’homme est seul responsable de sa déchéance. Bayle remet Dieu en question.
La philosophie réfute la chute originelle dans les faits, quand bien même elle accréditerait le mythe pour des raisons d’ouverture sur un doute supérieur, je pense à celui de Malebranche. Partant de là, il s’avère qu’un être aussi manifestement voué à l’erreur et au mal que l’homme constitue la preuve permanente de la réfutation de l’intelligence et de la bonté de son créateur.
Si Dieu nous a créés tels que nous sommes, il est lui-même complètement détraqué ; ou bien, si malgré ses efforts, nous sommes restés tels que le monde moderne peut nous voir encore, la toute puissance divine n’est qu’une supercherie inventée par les prêtres.
Voilà le rationalisme d’un Descartes retourné contre lui-même, préfigurant l’irrationnel blasphématoire d’Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche.
En réalité le rationalisme est un glaive, il tranche à deux morfils : le rationalisme scientifique méthodologique, et le rationalisme métaphysique, comptant sur la raison humaine et sur une hypothèse à établir entre Dieu et les hommes.
Avec l’ordre scientifique et l’ordre religieux, la philosophie survit entre les deux de manière équivoque. Servant de propédeutique vis-à-vis de la religion, sa mission ne consiste pas d’atteindre aux « vérités » surnaturelles, tout en reconnaissant la possibilité d’une « inspiration » que Pascal appelle la grâce.

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Bayle ne l’écrit nulle part, mais le Protestantisme qui le força à l’exil en Hollande et qui tint sa plume lorsqu’il réalisa son Dictionnaire penche singulièrement vers le doute et le rationalisme scientifique.
La protestation existentielle de Pascal et la protestation morale de Bayle traduisent le dilemme majeur de l’homme qui essaye de faire taire une nature qui est en lui et « qui l’effraie » en cherchant et en trouvant parfois la grâce ou en se construisant dans le raisonnement qu’on appellera plus tard le matérialisme dialectique.
La grâce, simple vue de l’esprit, n’est ni un fait, ni une réponse scientifique aux problèmes du vivant et de la conscience. Elle n’est qu’un voile jeté sur un brasier et qui l’étouffe, sans pour autant éteindre la braise que le moindre souffle de vent peut attiser.
Bayle eut le mérite sous le règne d’un Louis qui révoqua l’Edit de Nantes, de préférer l’exil et la réflexion, plutôt qu’une citoyenneté sous la contrainte d’une foi qu’il ne partageait pas.
Le débat restant permanent, en son temps, Bayle choisit la liberté d’expression. C’était la seule rationalité qu’il pût prendre sans créer de préjudice à lui-même.
C’est pourquoi il mériterait qu’on le lise encore aujourd’hui.

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1.Pour ce qui Le concerne, il entrait dans cette astéisme [genre d’ironie] que la question fût aussi éternelle,

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