Une bande de Panopticon.
Le récent accord avec la Hollande pour l’hébergement d’une partie de nos détenus, l’accélération d’une justice à l’encontre du petit délinquant, la longueur, au contraire, des débats judiciaires lorsqu’il s’agit d’un délinquant connu ou riche (les deux ne sont pas incompatibles) avec la palette assez riche des recours, enfin la distance qui sépare les jugements de personnages politiques ayant fauté durant et en fonction de leur mandat, aux opposants politiques au régime, rapidement désignés terroristes, laissent à penser qu’on va vers une justice à l’américaine, bien dans le cadre de la mondialisation.
Après le traumatisme de septembre 2001, la justice américaine s’est emballée. Dorénavant, aux States, on s’occupe moins du délinquant et de la punition quasi automatique et pratiquement sans entendre l’intéressé, que de contrôler les groupes à risques, ce que les flics ont immédiatement traduit par le délit de faciès.
En Belgique, cela se traduit par les rapports de police qui tiennent lieu de procureur et de juge d’instruction. Il est très difficile à un innocent, de se disculper dans le cadre d’un rapport de police tendancieux.
Le juge devient le président d’une cour de validation du jugement prémâché par les autres, le procureur a presque bouclé l’affaire à lui seul, puisqu’il a préparé le dossier et déjà prévu la peine. Bien entendu, il n’est question dans ce domaine que des petites affaires ; mais qui peuvent aller jusqu’à quelques années de prison ferme.
Le prévenu est à peine entendu. Se lance-t-il dans de longues explications, le juge regarde sa montre, presse le prévenu et finit par se courroucer si celui-ci entend exposer l’affaire à sa manière.
De plus en plus, il est question d’une formule nouvelle, une sorte de transaction qui arrêterait la procédure par consentement mutuel, si l’on peut dire. Le prévenu – solvable il va de soi – paie une forte amende et éventuellement des dommages et intérêts, en général à son assurance s’il s’agit d’un accident de la circulation ou tout autre préjudice couvert, sous forme de traite mensuelle… et à l’affaire suivante.
Si la dérive, comme cela en prend le chemin, s’amplifie, on transigera avant le procès – c’est le fameux plaider coupable si souvent vu dans les films américains – on peut écoper ainsi d’une peine assez lourde, mais qui le serait davantage en plaidant l’innocence. C’est ainsi qu’on voit des détenus ayant plaidé coupable et l’étant effectivement, accomplir une peine moins lourde que l’innocent ayant refusé la procédure, et condamné au maximum.
Certains pénalistes trouvent encore leur source de référence dans le code civil de 1810, largement repris en 1831 en Belgique et inspiré par Jeremy Bentham.
Ami de Brissot, la révolution française voit Bentham fourmillant d’idées afin de réformer le Code de l’Ancien Régime. Sa méthode, "Le calcul du bonheur et des peines", vise à déterminer scientifiquement – c'est-à-dire en usant de règles précises – la quantité de plaisir et de peine générée par nos diverses actions. Il mêle législation et morale, ce qui est encore aujourd’hui l’idée que l’on se fait de la justice et qui est totalement fausse. Pour Bentham, on ne doit admettre d'autre règle que l'utilité : ce qui lui fit donner à son école le nom d'Utilitarisme.
Il propose au gouvernement un projet, le Panopticon, qui inspirera de nombreux juristes.
Etrangement, c’est en France que cet Anglais propose ses réformes. De retour en Grande-Bretagne, il n’a pas le succès escompté, surtout dans la réalisation de sa prison modèle, faute de moyens.
Il semble bien que la justice américaine en a fait plus de cas que nous. Mais il est certain que la mondialisation des affaires joue un rôle dans la transformation de la justice européenne qui opère à notre insu souvent, un rapprochement de celle pratiquée aux Etats-Unis.
A la crise, nous ajouterons bientôt les méfaits d’une autre crise, celle de la justice néolibérale.
En fonction des prévisions pessimistes, comme l’augmentation de la délinquance urbaine qu’accompagne la misère qui monte, la possibilité d’émeutes, puisque la crise a fait perdre et fera perdre encore beaucoup de pouvoir d’achat, la justice se prépare à nous tomber dessus à bras raccourci. Il lui faudra faire vite et frapper fort. Rien de tel que de se mettre à la méthode américaine. Pour mémoire, un américain sur cent est en prison au pays des « libertés » !